Page d'histoire : Publication d'Un bon petit diable de la comtesse de Ségur 1865

En même temps, elle vit de la fumée, Un bon petit diable, Paris,
L. Hachette, 1866, 2e éd., Paris, Bibliothèque nationale de France.
© BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

En 1865, la comtesse de Ségur née Rostopchine (1799-1874) publie Un bon petit diable et le 26 novembre de la même année Lewis Carroll (1832-1898) diffuse son Alice au pays des merveilles. Grande année pour la littérature d’enfance !

C’est à sa petite-fille, la sage Madeleine de Malaret (1849-1930) que grand-mère Ségur dédie son dix-septième ouvrage publié. À soixante-six ans, veuve depuis deux ans, la comtesse se remémore son enfance russe et y puise son inspiration. Voilà que lui revient un épisode très particulier : à la fin du printemps 1803, toute une équipe d’agronomes écossais arrive sur les terres de l’immense domaine paternel de Voronovo ; plus « modernes », les instruments importés – faux, pioches et charrues, etc., – inquiètent les paysans russes. Avec ses deux enfants et son gendre, la famille Paterson s’installe au château. Ses manières intriguent et fascinent les enfants Rostopchine. Serge, sept ans, s’essaie à la pratique de l’anglais tandis que sa soeur Nathalie, du haut de ses six ans, raconte de terrifiantes histoires écossaises à la petite Sophie âgée de quatre ans. Des décennies plus tard, la comtesse de Ségur retrouve intactes ces émotions qui vont conduire sa plume.

Ainsi, ce Charles Mac’Lance – le « bon petit diable » – est cet enfant de douze ans, orphelin, turbulent mais bon, livré à sa cousine, veuve à la cinquantaine acariâtre qui a accepté de l’élever contre une pension prévue par testament paternel. Cela se passe dans l’atmosphère « d’une petite ville d’Écosse, dans la petite rue des Combats » chez la funeste Céleste Mac’Miche, « dure et repoussante [qui] ne voyait personne, de peur de se trouver entraînée dans quelque dépense, car elle était d’une avarice extrême. Sa maison était vieille, sale et triste » (chapitre I).

Pour échapper aux coups de sa cousine, Charles délire d’imagination. Comment ne pas jubiler aux trouvailles de ce sublime inventeur... du « parafouet » ?

« Charles répondit par un sourire, fit voir à Betty son papier noir et rouge, sa colle, lui fit signe de n’y pas toucher et disparut. Il ne tarda pas à rentrer, tenant à la main un diable en papier pour ombres chinoises ; il le calqua avec un morceau de charbon, au revers de la feuille noire, et pria Betty de le découper en ployant la feuille double pour en avoir deux d’un coup. Puis il traça sur le papier rouge une grande langue qu’il eut double par le même moyen. Quand Betty eut terminé les découpures, elle mit un peu d’eau chaude dans la colle, l’étendit sur l’envers des diables et les coller sur la peau de Charles qui riait sous cape de la peur qu’aurait sa cousine » (chapitre VIII).

Le parafouet fera mouche et Mac’Miche en conclura que Charles « a le diable dans sa culotte ! Deux diables ! » (ibid.).

Charles ne s’échappera des mauvais traitements de la terrible Mac’Miche que pour aboutir à la pension du cruel Old Nick à qui il jouera nombre de tours pendables.

Dans un registre plus grave, en introduisant le personnage de Juliette, jeune aveugle de quatorze ans, « pieuse et bonne » (que Charles finira par épouser), la comtesse de Ségur met en scène, sans aucun doute, son propre fils, Louis-Gaston de Ségur (1820-1881), ecclésiastique, aveugle à trente trois ans. En prélat qu’il devint et en fils consolateur, il confie à sa mère ses impressions de non-voyant soutenu par la grâce divine qui lui permet de vivre néanmoins heureux. Aussi, lorsque Juliette affirme : « Je pense au bon Dieu qui m’a fait la grâce de devenir aveugle », la comtesse de Ségur ne fait elle que reproduire les paroles de son fils et s’en convaincre.

Dès les premières éditions, le trait mordant et plein d’humour du dessinateur Horace Castelli (1825-1889) servit superbement, en une centaine de gravures, mouvements et tourbillons des aventures du bon petit diable. Le kilt de Charles tantôt exhibe les jambes du héros chaussé à la manière écossaise de ballerines de cuir au laçage croisé montant, tantôt laisse tomber ses larges plis de lourde laine.

Coïncidence ou influence réciproque de la mode et de la littérature ? La mode enfantine des années 1860 met, à Paris, l’Écosse à l’honneur et les vifs tartans jettent leurs carreaux multicolores sur les écharpes, bérets, châles, robes et pantalons des chers petits. La comtesse de Ségur est dans l’air du temps, à moins qu’elle ne l’inspire.

En 1930, l’illustrateur Félix Lorioux (1872-1964) raccourcira le fameux kilt et, souhaitant accentuer par l’image l’insolence gouailleuse du héros, frappera son béret d’une plume magistrale.

 

Marie-Joséphine Strich
docteur ès lettres

 

Voir Célébrations nationales 1999 et 2008

Source: Commemorations Collection 2015

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