Page d'histoire : Eustache Le Sueur Paris, 19 novembre 1616 - Paris, 30 avril 1655

Réunion d’amis
huile sur toile d’Eustache Le Sueur vers 1640
Paris, musée du Louvre
© RMN

Né à Paris en 1616 dans un milieu d’artisans (son père était tourneur en bois), Eustache Le Sueur entra vers 1632 dans le fameux atelier de Simon Vouet. Pendant une dizaine d’années, il y reçut une formation de peintre et de décorateur qu’il compléta – à défaut du traditionnel voyage à Rome – par la visite des palais royaux, comme Fontainebleau, et des premières collections parisiennes. Son style souple et élégant se fait jour dès la série de modèles de tapisseries inspirés du Songe de Poliphile (vers 1637-1643). De la même époque datent des scènes mythologiques, bibliques ou historiques, pleines de brio, voire de sensualité, aux coloris clairs et raffinés.

En 1644 ou 1645, Le Sueur est reçu maître-peintre. Son art prend une orientation nouvelle, au contact des modèles fournis par Raphaël et Poussin. En 1645, il reçoit la commande d’une suite de vingt-deux tableaux relatant la Vie de saint Bruno, pour la Chartreuse de Paris (aujourd’hui au Louvre). Son inspiration se fait plus austère, son style plus rigoureux. Cette tendance est plus généralement celle de la peinture parisienne au moment où se constitue l’Académie royale de peinture et de sculpture, dont Le Sueur fut l’un des membres fondateurs en 1648.

Le peintre travaille alors surtout pour une riche clientèle privée qui fait décorer ses demeures ou ses chapelles. Il multiplie les sujets sérieux tirés de la Bible et de l’histoire ancienne. Mais son inspiration sait se faire plus aimable dans l’hôtel du financier Nicolas Lambert de Thorigny, où il décore le Cabinet de l’Amour (1644-1646), ensemble précieux, hélas démantelé, où les peintures mythologiques se détachaient sur une riche ornementation, puis la Chambre des Muses (1652-1653) et l’exquis plafond du Cabinet des Bains.

Avec la fin de la Fronde en 1653, les commandes royales reprennent. Le peintre travaille au Louvre, où il réalise plusieurs allégories politiques pour les appartements d’Anne d’Autriche et du jeune Louis XIV. Il s’essaie aux grands formats avec deux cartons de tapisseries pour l’église Saint-Gervais (1652-1654, Louvre et musée de Lyon). Il faut ajouter à ces compositions monumentales, où le souvenir de Raphaël demeure prédominant, d’autres commandes émanant d’ordres religieux provinciaux. Le Sueur y concilie élégance décorative et rigueur de la construction. L’émotion s’y dissimule derrière la simplicité du ton.

Une mort précoce interrompit, à trente-huit ans, cette belle carrière. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les réalisations d’un Le Brun à Versailles rejetèrent quelque peu dans l’ombre un peintre sans doute trop discret. Pourtant, sa leçon de pureté et de grâce devint, pendant le XVIIIe siècle, une référence essentielle pour les artistes qui préparèrent le renouveau classique. À partir du langage ample et facile créé par Vouet, le peintre de Saint Bruno avait développé des recherches formelles de plus en plus radicales, dont s’est nourri tout un courant pictural français attaché au jeu quasi musical des lignes et des couleurs.

Alain Mérot
professeur à l'université de Paris IV-Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2005

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