Page d'histoire : Étienne de La Boétie Sarlat (Dordogne), 1er novembre 1530 - Germignan (commune du Taillan-Médoc, Gironde), 18 août 1563

Château de La Boétie à Sarlat Dessin
© Archives départementales de Dordogne
 

Maison de La Boétie à Sarlat
Dessin
© Archives départementales de Dordogne
 

La brève existence de ce magistrat humaniste que Montaigne a pu proclamer « le plus grand homme, à mon advis, de nostre siecle » demeure fort mal connue. Issu de cette riche bourgeoisie urbaine pour lors en phase d’ascension sociale, devenu orphelin dès l’âge de dix ans, il reçut, sans doute grâce à son oncle, une éducation soignée et devint un solide helléniste.

La première date avérée de sa biographie est le 23 septembre 1553, jour de l’obtention de sa licence en droit à Orléans. Reçu conseiller lai au parlement de Bordeaux en mai 1554, La Boétie y siègera jusqu’à sa mort à la première chambre des Enquêtes. Montaigne qui a tant fait pour immortaliser son nom, l’y rejoint en décembre 1557. Mais la date même de leur rencontre reste sujette à caution : lorsqu’il évoque leur relation dans le célèbre chapitre qui, très symboliquement, place au centre du premier livre des Essais cette amitié qu’on ne rencontre qu’« une fois en trois siècles », Montaigne la fait durer quatre années seulement. Quel qu’en ait été le point d’origine, la relation fut forte et intense ; elle a profondément marqué Montaigne qui consignera dans son Journal, bien des années après la disparition de son ami, balayé en quelques jours de l’été 1563 par une crise de dysenterie : « je tombay en un pensement si penible de M. de La Boetie, et y fus si longtemps sans me raviser, que cela me fit grand mal ». La critique s’accorde à voir dans le deuil qui a alors frappé Montaigne un des ressorts de son passage à l’écriture.

La Boétie avait légué tous ses manuscrits à son « inthime frere et inviolable amy » – il désigne ainsi Montaigne dans son testament. Ce dernier publiera une partie de ces œuvres en 1570/71 à Paris (des traductions du grec et des poésies latines et françaises), mais en raison des dissensions religieuses et politiques qui déchirent alors la France, il se refusera à publier les deux textes majeurs de son ami : un mémoire qu’il avait rédigé sur le premier édit de tolérance (le fameux édit de janvier 1562 voulu par Michel de L’Hospital) et surtout le Discours de la servitude volontaire dont s’étaient emparés les protestants pour en faire, après la Saint-Barthélemy, un appel à l’insoumission contre l’autorité, jugée tyrannique, du roi.

À soi seul, sans le concours de Montaigne, ce joyau de la pensée politique aurait suffi à immortaliser son auteur. La Boétie, s’appuyant bien plus sur les exemples antiques que sur la réalité contemporaine, compose en fait une déclamation ; il pousse jusqu’à ses limites une idée simple : « la tyrannie ne pourrait exister sans le consentement individuel de chaque individu tyrannisé. Que chacun de ses sujets secoue le joug et on verra le tyran « comme un grand colosse à qui on a desrobé la base, de son poids mesme fondre en bas et se rompre. » On comprend qu’une idée aussi belle, qui se trouve à l’origine de la désobéissance civile, ait pu séduire les révolutionnaires de 1789 ou de 1830, voire les Résistants français : tous republieront ce texte qui pour trop de peuples opprimés demeure d’une inaltérable actualité.

Michel Magnien
professeur de littérature française de la Renaissance université Sorbonne nouvelle – Paris 3

Source: Commemorations Collection 2013

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