Page d'histoire : Hippolyte Flandrin Lyon, 23 mars 1809 - Rome, 21 mars 1864

Jeune homme nu assis au bord de la mer
étude, huile sur toile, 1836
Paris, musée du Louvre
© RMN/Daniel Arnaudet

Issu d’une fratrie d’artistes avec Auguste et Paul, Hippolyte Flandrin est sans doute le plus brillant élève d’Ingres. Il a touché à tous les genres, mais devint illustre en son temps surtout grâce à son talent de portraitiste et de peintre religieux. Celui qu’on appela le « nouveau Fra Angelico » tira son inspiration des œuvres de la Renaissance, de Raphaël, en particulier. Portraits, paysages, sujets religieux, Flandrin put tout traiter avec douceur et délicatesse.

Sa rencontre avec Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) fut déterminante pour sa carrière. À Lyon, il fréquentait avec son jeune frère Paul (1811-1902) l’atelier de Pierre Révoil (1776-1842), peintre troubadour, qui l’invita à partir à Paris. En 1829, les deux frères gagnèrent la capitale et songèrent d’abord à entrer dans l’atelier de Louis Hersent (1777-1860), peintre à la mode. Mais un de leurs amis lyonnais, Guichard, leur indiqua qu’il serait plus profitable d’entrer en contact avec Ingres, « figure montante » du milieu artistique. Choix judicieux ! Paul et Hippolyte Flandrin entraient sous la coupe d’Ingres, qui se prit d’une grande affection pour les deux frères. Le destin d’Hippolyte fut en effet lié de très près à celui de son frère Paul. Mais alors que Paul consacra son art aux paysages et aux portraits, Hippolyte se dédia davantage à la peinture religieuse. Le parcours académique des deux frères différait aussi, rendant inévitable un partage des tâches. Hippolyte remporta le grand Prix de Rome en 1832, tandis que Paul échoua. Cela ne les empêcha pas de se retrouver dans la Ville éternelle – d’autant plus qu’Ingres devenait alors directeur de la Villa Médicis. À leur retour à Paris, en 1838, les deux Flandrin appliquèrent avec brio les leçons ingresques, respectant les modèles italiens de la Renaissance, Raphaël en premier lieu.

L’une des œuvres les plus célèbres d’Hippolyte Flandrin est sans nul doute Le Jeune homme nu au bord de mer (1836 ; Paris, musée du Louvre). Exécuté à Rome, le tableau interroge avec efficacité le spectateur sur son sujet. S’agit-il d’une simple académie d’homme ? Mais alors, pourquoi ce paysage méditerranéen ? Peut-on y voir une représentation de la mélancolie ? Le visage caché par ses genoux repliés, le jeune homme illustre le retour sur soi, dans une profonde atemporalité. Le primat de la ligne sur les couleurs reflète l’influence d’Ingres. Mais le chromatisme adouci, bleu et ocre, vert et gris, atteste d’une recherche subtile dans le rendu de la lumière. Cette question des volumes et de leur inscription dans l’espace se retrouve dans toute l’œuvre de Flandrin. Sa série sur la Florentine, datant de 1840 (musées de Nantes, Évreux, Beauvais), rend un hommage appuyé à Raphaël et à Léonard de Vinci. Très lié au comte de Feltre qui donna sa collection à la ville de Nantes, Hippolyte Flandrin devait réaliser des œuvres pour son commanditaire, telle que Rêverie (1846, Nantes, Musée des Beaux-Arts), qui montre une facette plus intime du talent de coloriste de l’artiste. Dans la même veine, il exécuta avec son frère Paul un extraordinaire Double autoportrait (1842, Nantes, Musée des Beaux-Arts). Rarement parvint-on à rendre avec plus de tendresse les liens artistiques constants qui unissaient les deux frères.

Dès les années 1850, Hippolyte Flandrin fut surchargé de commandes de portraits. La Comtesse Maison (1852, Villeneuve-sur-Lot, musée de Gajac), Mme Bordier mère (1852, Grenoble, musée), La comtesse de Goyon (1855, Montauban, musée Ingres), le rendirent encore plus recherché par l’aristocratie et la cour du Second Empire. Son célèbre portrait de Napoléon III (1862, Versailles, Musée national du château) est devenu un classique, malgré ou grâce à l’étrange regard, rêveur et fuyant, du modèle impérial.

Parallèlement, Hippolyte se consacra à la peinture religieuse : en 1848, il décorait l’église Saint-Paul de Nîmes. Il œuvra aussi à Paris : en 1841 à Saint-Séverin, à la chapelle Saint-Jean puis à la nef de l’église Saint-Vincent-de-Paul (1848-1853). Son chef-d’œuvre en ce domaine demeure le décor de Saint-Germain-des-Prés (1842-1864) que son frère Paul achèvera à sa mort. Ces décors lui valurent une très grande célébrité. On y louait la grande clarté des frises, la puissance d’imagination, la maîtrise d’un chromatisme adouci et la souplesse de la ligne du dessin.

Aussi n’est-il guère étonnant de le voir suivre un parcours académique très élogieux : en 1853, Flandrin fut nommé officier de la Légion d’honneur et membre de l’Académie des Beaux-Arts ; en 1857, il prit ses fonctions de professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris. Sa renommée atteignit l’Allemagne et il fut décoré en 1863 de l’ordre du Mérite de Prusse. Mais de santé fragile, il décidait la même année de rejoindre l’Italie, son pays d’affection. Il mourut à Rome le 21 mars, mais fut enterré à Paris au cimetière du Père-Lachaise – et non pas en l’église Saint-Germain-des-Prés comme il le souhaitait.

D’un caractère doux, extrêmement timide, un peu mélancolique, Hippolyte souffrait d’un cruel manque de confiance en soi. S’appuyant constamment sur son frère Paul, le peintre fut toute sa vie en proie au doute. Paul ne lui écrivait-il pas depuis Paris, lorsqu’Hippolyte séjournait à Rome (mars 1833) : « Ainsi, de la confiance en toi, voilà tout ce que je te demande, car je sais bien aussi ce que tu vaux » ?

Cyrille Sciama
conservateur du patrimoine
responsable des collections XIXe siècle
Musée des Beaux-Arts de Nantes

Source: Commemorations Collection 2009

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