Page d'histoire : Constantin Brancusi Hobitza, 19 février 1876 – Paris, 16 mars 1957

L’oeuvre du sculpteur Constantin Brancusi est celle d’un créateur solitaire qu’il est difficile de relier à un courant artistique précis. Si elle annonce l’abstraction plastique qui caractérise l’évolution de la sculpture moderne, elle s’est développée selon une démarche exceptionnellement personnelle et cohérente. Comme les cubistes, Brancusi est à la recherche d’une nouvelle réalité plastique et reste sensible aux simplifications de la sculpture africaine. Cependant, la référence à un monde naturel et cosmique, qui sous-tend l’ensemble de son oeuvre, l’éloigne de leurs préoccupations plus intellectuelles.

D’origine roumaine, Brancusi est né dans un village des Carpates, d’une famille paysanne qu’il quitte très jeune pour une vie vagabonde faite d’expédients. En 1894, il s’inscrit à l’École des arts et métiers de Craïova, puis en 1898 à l’École des beaux-arts de Bucarest. À Paris, où il arrive en 1904 (après un long voyage à travers l’Europe, le plus souvent à pied), il suit l’enseignement de l’École des beaux-arts jusqu’en 1907. Dès 1906, il  expose au Salon d’automne où il rencontre Rodin ; ses premières oeuvres, au caractère volontiers inachevé, révèlent une réflexion sur la sculpture proche de celle du maître de Meudon. En 1907, Brancusi réalise une de ses premières « tailles directes », préférant désormais dégager ses formes du « bloc » naturel - bois, pierre ou marbre.

L’année suivante, il se lie avec le Douanier Rousseau, Léger, Matisse et Modigliani qui fait son portrait. La baronne Renée Frachon (vers 1908), puis une amie hongroise, Margit Pogany (en 1910), posent pour lui : leurs portraits réalistes seront à l’origine de différentes versions détruisant la notion traditionnelle du buste (La Muse endormie, 1910 ; Une Muse, 1912 ; Melle Pogany, 1912). En 1912, Brancusi visite le Salon de la locomotion aérienne avec Léger et Duchamp, puis, en 1913, il envoie cinq oeuvres à l’Armory Show de New York. La même année, le photographe américain Edward Steichen acquiert une version en bronze de Maiastra, 1912, forme première d’une longue série d’Oiseaux. Ses amis Edward Steichen et Alfred Stieglitz organisent en 1914 sa première exposition personnelle à New York, à la Photo Secession Gallery. À la suite d’une fracture à la jambe (1918), il se met à peindre et à dessiner ; cette activité, comme plus tard celle de la photographie, devant rester indépendante de son oeuvre sculpté, qu’il réalise toujours « directement », sans ébauche préalable, selon une conception quasi artisanale.

Faisant scandale par sa forme ambiguë, issue d’une silhouette de femme en marbre retaillé, La Princesse X est refusée au Salon des indépendants de 1920, mais L’Oiseau d’or y occupe une place d’honneur. Brancusi assiste alors aux manifestations Dada, rencontre Picabia et Tzara et, en 1921, se lie avec Cocteau et Man Ray, qui l’aidera à installer une chambre noire dans son atelier. En 1923, il exécute en terre la première version du Grand Coq. En 1926, une Colonne sans fin, taillée dans un arbre du jardin de Steichen, à Voulangis, est installée pour la première fois in situ.

Il s’installe en 1927 au 11, impasse Ronsin, dans les ateliers qui seront reconstitués après sa mort. En 1928, il gagne un procès, devenu célèbre, contre les douanes américaines qui ont refusé le statut d’« oeuvre d’art » à l’Oiseau dans l’espace. Au Maharadjah d’Indore venu lui acheter trois versions de cette oeuvre, il propose le projet d’un temple. En 1935, la Roumanie lui commande le mémorial de Târgu-Jiu qui sera réalisé sous ses directives en 1937-1938 (La Colonne sans fin, La Porte du Baiser). Entre-temps, il aura séjourné en Inde pour son projet qui restera sans suite, puis en Égypte. Son dernier voyage sera pour les États-Unis en 1939, tandis que sa dernière oeuvre, la quatrième version du Grand Coq, sera achevée en 1952.

Après avoir obtenu la nationalité française en 1952, Brancusi lègue à l’État français en 1956, un an avant sa mort, l’ensemble de ses ateliers avec tout leur contenu (oeuvres achevées, ébauches, plâtres originaux, meubles et outils) - à charge pour le Musée national d’art moderne de le reconstituer tel qu’il était impasse Ronsin. Brancusi manifestait par là sa volonté de ne pas séparer son oeuvre de son environnement privilégié, où tout était marqué de sa main. Outre le mobilier sculpté (porte, tabourets, socles), l’atelier présente un panorama à peu près complet de l’oeuvre, grâce aux nombreux tirages en plâtre venus remplacer les originaux (marbre, pierre ou bronze) dès le moment où l’artiste s’en séparait : il permet ainsi, avec le fonds exceptionnel de photographies exécutées par Brancusi lui-même, de suivre, étape par étape, la démarche du sculpteur depuis les volumes simplifiés de La Muse endormie, Mlle Pogany, L’Oiseau dans l’espace, du Poisson, du Phoque, et des Grands Coqs, jusqu’aux oeuvres monumentales plus tardives, projet du Temple de l’Amour, piliers du Baiser et Colonne sans fin.

Marielle Tabart
conservateur
musée national d’Art moderne
Centre Pompidou

Note sur l'atelier Brancusi

Constantin Brancusi arrive en juillet 1904 à Paris. Il y restera jusqu’à sa mort en 1957. Installé en 1916 dans le XVe arrondissement, à Montparnasse, impasse Ronsin près de la rue de Vaugirard, il crée la plus grande partie de son oeuvre dans les ateliers du no 8 puis du no 11. Leur contenu, après sa mort, sera légué à l’État français, à charge pour celui-ci de reconstituer l’ensemble dans son intégralité au Musée national d’art moderne. Une première reconstitution, incomplète, a été réalisée dans les locaux du palais de Tokyo et inaugurée en 1962. À la suite du transfert des collections du Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou, une deuxième reconstitution restituant l’aspect extérieur et intérieur des ateliers d’origine a été bâtie en 1977 sur la piazza, au pied du Centre. Les conditions de conservation et d’accueil étant insuffisantes, il a été demandé à Renzo Piano, l’un des deux architectes du Centre Pompidou, de concevoir une architecture renouvelée pour l’atelier Brancusi. La difficulté était de faire de cet espace intime un lieu ouvert au public, tout en respectant les volontés de Brancusi. Dans ce but, Renzo Piano a voulu préserver l’idée d’un espace caché, dans lequel le visiteur, isolé de la rue et de la piazza, peut circuler autour des ateliers ouverts par des baies vitrées. Le legs constitué de 255 sculptures, socles, moules et meubles - installés dans l’espace comme une oeuvre totale, selon la disposition et l’éclairage voulus par l’artiste - y est présenté en permanence depuis janvier 1997. Cette collection - à laquelle s’ajoutent le legs de 38 dessins et gouaches, conservés au Cabinet d’art graphique, plus de 1 600 négatifs et tirages photographiques originaux conservés au Cabinet de la photographie, la bibliothèque (245 titres) et la discothèque (191 titres) ainsi qu’un ensemble d’archives -contient en particulier les premiers projets de La Colonne sans fin, qui fut finalement érigée en 1937-1938 à l’échelle monumentale, dans une version unique au monde, à Târgu-Jiu, en Roumanie. Cette dernière vient d’être restaurée sous le contrôle de l’UNESCO grâce aux fonds collectés par la World Monument Fund, au titre de patrimoine universel.

Marielle Tabart

Source: Commemorations Collection 2007

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