Page d'histoire : Le prix Nobel de physique est décerné à Henri Becquerel, Pierre et Marie Curie 10 décembre 1903

Henri Becquerel par Nadar, entre 1890 et 1908

Pierre Curie et Marie Curie, 1904

En 1903, le prix Nobel de physique est attribué conjointement à Henri Becquerel pour « la découverte de la radioactivité spontanée », et à Pierre et Marie Curie « pour leurs recherches sur les phénomènes de radiation découverts par le professeur Becquerel ». C’est un événement important pour l’histoire des sciences, l’histoire des femmes et celle de la notoriété des prix Nobel scientifiques. Les expériences majeures d’Henri Becquerel avaient été réalisées entre mars et mai 1896 au Muséum national d’histoire naturelle. Leur objectif initial était d’établir si l’excitation par la lumière de la phosphorescence de certains sels s’accompagnait de l’émission de ces rayons X que venait de découvrir W. C. Röntgen. L’étude menée à l’aide de plaques photographiques aboutit, le premier mars, à une conclusion différente : un rayonnement invisible et pénétrant la matière est émis par le composé utilisé, sans qu’il soit nécessaire d’exciter préalablement sa phosphorescence. En mai, Henri Becquerel découvre que ce rayonnement est émis par l’élément uranium présent dans l’échantillon. L’année suivante, Becquerel abandonne, définitivement croyait-il, l’étude d’un sujet qu’il pensait avoir épuisé.

Marie Curie, qui cherchait un sujet de thèse, entreprend, fin 1897, une étude quantitative des « rayons uraniques ». La mesure des charges produites sur le passage du rayonnement, à l’aide d’un électromètre et d’un quartz piézoélectrique mis au point par Pierre Curie, lui permet de conclure que l’émission est bien une propriété atomique de l’uranium. Elle ne trouve pas, dans une recherche systématique, d’autres éléments émettant des rayons de Becquerel (sauf le thorium). La forte intensité du rayonnement émis par des minéraux d’uranium, en particulier la pechblende, la conduit à penser que ces minéraux doivent contenir un élément beaucoup plus actif que l’uranium. Pierre et Marie Curie vont dès lors collaborer étroitement à la recherche de l’élément inconnu. Une nouvelle méthode associant des séparations menées avec les moyens de l’analyse chimique ordinaire et la mesure de la radioactivité des produits séparés va leur permettre de découvrir le polonium en juillet 1898, puis, en collaboration avec G. Bémont, le radium en décembre 1898.

Le rayonnement spontané de certains éléments est dès lors reconnu comme un phénomène radicalement nouveau, la radioactivité. Les recherches se multiplient dans de nombreux pays, avec en France notamment Becquerel et les Curie. Nouveaux radioéléments, nature des rayonnements, radioactivité induite et émanation ... réponses, controverses, questions. Pierre et Marie Curie soulignent, au congrès de Paris en juillet 1900 : « La spontanéité du rayonnement est une énigme, un sujet d’étonnement profond. Quelle est la source de l’énergie des rayons de Becquerel ? Faut-il la chercher dans les corps radioactifs eux-mêmes ou bien à l’extérieur ? ». E. Rutherford et F. Soddy répondront à cette question en 1902 : La radioactivité est une transformation spontanée d’un élément chimique en un autre, mettant en jeu une énergie d’un type inconnu, que nous savons aujourd’hui être de l’énergie nucléaire. En 1903, Pierre Curie et A. Laborde mesurent directement la chaleur dégagée par la transformation du radium et Marie Curie présente dans sa thèse la séparation du radium en quantité pondérable et la détermination de son poids atomique. Au cours de ces années, le traitement de maladies de peau, puis de cancers avec des préparations de radium commence à être expérimenté.

L’approche d’Alfred Nobel définissant les objectifs et critères des cinq prix annuels qu’il instituait était globale et ambitieuse. Les prix devaient être internationaux et les réalisations être un bénéfice pour l’humanité. Les prix scientifiques devaient récompenser « la découverte ou invention la plus importante » au cours des années les plus récentes. Les découvertes de la radioactivité et des éléments spontanément radioactifs ouvraient un chapitre nouveau de la physique où le radium jouera un rôle considérable comme outil d’exploration de la matière. On comprenait déjà qu’elles auraient d’immenses conséquences. Le prix Nobel de physique de 1903 fut cependant l’objet de délicates discussions. Le Comité Nobel de chimie revendiquait l’appartenance à la chimie de la nouvelle discipline. Il s’inclina en obtenant que la découverte du polonium et du radium ne soit pas invoquée dans le motif d’attribution. La proposition transmise pour la France par l’Académie des Sciences ne comportait que les noms de Becquerel et de Pierre Curie. Il fallut l’intervention d’un membre de l’Académie suédoise et une lettre de Pierre Curie pour que Marie Curie partage le prix de 1903.

Henri Becquerel était le descendant d’une grande famille de scientifiques, professeur au Muséum et membre de l’Institut. Pierre Curie était profes-seur à l’école de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris, position assez modeste. Marie Sklodowska-Curie, fin 1897, venait d’achever un premier travail de recherche et n’avait aucune rémunération. L’intérêt du public se focalisa sur les Curie, un couple de scientifiques travaillant dans des conditions difficiles. Le radium et ses applications pour le traitement du cancer enflamma les imaginations. Cette notoriété des Curie dans le grand public fit beaucoup pour la popularité des prix Nobel scientifiques, jusqu’alors éclipsés par le prix Nobel de littérature et celui de la paix. Il faudra attendre 1947 pour qu’une femme reçoive à nouveau un prix Nobel de physique.

Hélène Langevin-Joliot
directrice de recherche émérite CNRS-IN2P3

Source: Commemorations Collection 2003

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