Page d'histoire : Jacques Chaban-Delmas Paris, 7 mars 1915 - Paris, 10 novembre 2000

Jacques Delmas a suivi le cursus de formation habituel aux jeunes gens se destinant à la haute fonction publique, tout en consacrant une partie importante de son temps aux activités sportives et, de 1933 à 1938, au journalisme. Après un bref passage au cabinet du ministre de la Production industrielle, il est reçu, en 1943, au concours de l’inspection des finances. Ayant déjà rejoint la Résistance, il est chargé au cours de l’année décisive 1943-1944 de responsabilités au sein de son état-major clandestin, en particulier, à compter du mois de mai 1944, de celle de la délégation militaire nationale. La façon dont il remplit ses missions difficiles vaudront à « Chaban » le titre envié de Compagnon de la Libération (7/8/1945) et la considération, teintée d’une sorte d’amitié, du général de Gaulle.

Au terme de la guerre, le jeune général Chaban-Delmas, promu inspecteur des finances en 1945, a fait le choix de la vie politique. Secrétaire général du ministère de l’Information, dirigé par André Malraux, en 1945- 1946, il donne son adhésion au vieux parti radical-socialiste, est élu député de la Gironde en 1946 à la tête d’une liste patronnée par cette formation, et part un an plus tard à la conquête de la mairie de Bordeaux. Le lien ne sera jamais rompu.

Sa carrière a été marquée par sa présence dans de très nombreux postes de responsabilité et par une longévité exceptionnelle, à la fois comme député (de 1946 à 1997) et comme maire d’une métropole régionale (de 1947 à 1995, record absolu au sein de la catégorie). Le cheminement s’est déroulé sur trois plans.

L’ensemble du parcours a été placé sous le signe du gaullisme. Élu député en 1946 sous l’étiquette radicale, le jeune Compagnon de la Libération a rejoint le RPF en 1947, c’est-à-dire dès la naissance du mouvement constitué à l’appel du général de Gaulle. Demeuré fidèle à un engagement de coeur et de raison, il a longtemps joué un rôle de premier plan au sein des groupements politiques d’inspiration gaulliste, spécialement lors de l’épisode du Centre national des républicains sociaux (dont il a été le président de 1955 à 1958), de la création, en 1958, de l’Union pour la nouvelle République (UNR), et du pilotage des différentes formations soutenant l’action du Général, par le truchement en particulier de la petite équipe dite des « barons ». L’échec subi lors de l’élection présidentielle de 1974 et la prise de contrôle de l’UDR par Jacques Chirac ont mis un terme à ce long magistère. Mais une certaine sensibilité « chabaniste » a continué à exister au sein de la nébuleuse gaulliste.

La conjugaison de ses multiples talents et de la position éminente qu’il a occupée au sein de sa famille politique ont permis à Chaban d’accéder à des responsabilités au plus haut niveau de l’État. L’inamovible député de la Gironde a été ainsi ministre à trois reprises sous la IVe République, président de l’Assemblée nationale à trois reprises, de 1958 à 1969, de 1978 à 1981 et de 1986 à 1988, et Premier ministre de Georges Pompidou de 1969 à 1972. La lourde défaite du printemps 1974 l’a contraint à se placer dans une position de réserve, même s’il a retrouvé à deux reprises le « perchoir » du Palais Bourbon et s’il a caressé l’espoir, spécialement à la veille des élections législatives de 1986, de revenir à Matignon.

Enfin, Chaban a figuré parmi les acteurs politiques qui ont marqué dans une France des territoires engagée vaille que vaille sur les chemins de la décentralisation, imprimant la marque de ses choix et de leur réalisation à la fidèle ville de Bordeaux, à l’ensemble de l’agglomération bordelaise, au département de la Gironde et de façon plus large encore à la Région, dont il a présidé le Conseil de 1975 à 1979 et de 1986 à 1988. Au fil des années et parallèlement à une relative prise de distance par rapport aux enjeux de la vie politique nationale, le « duc d’Aquitaine » a ainsi peu à peu donné la priorité à la scène locale et régionale.

Parmi le petit groupe des « barons » de la Ve République gaullienne et post-gaullienne, Jacques Chaban-Delmas a incarné, avec beaucoup de pragmatisme, une ligne politique qualifiée par lui-même d’« évolutionniste »,de tonalité à la fois libérale et sociale, le projet, imparfaitement abouti, de la « Nouvelle Société » des années 1969-1972 en constituant le point d’orgue. Inséparable de complexes stratégies d’ouverture et de compromis, pratiquées avec plus ou moins de bonheur à l’échelon local comme à l’échelon national, cette posture a été à l’origine de quelques-unes des belles réussites de sa longue carrière. Mais elle a fini par le placer en porte-à-faux à l’intérieur d’un système politique durci par les contraintes de la bipolarisation.

Gilles Le Béguec
professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris-X-Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po
président du conseil scientifique de la fondation Charles de Gaulle

Source: Commemorations Collection 2015

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