Page d'histoire : Découverte de l'agent de transmission du typhus par Charles Nicolle 1909

Charles Nicolle dans son bureau, à l’Institut Pasteur de Tunis, vers 1910
Paris, Institut Pasteur
© Institut Pasteur, Photothèque historique

« Nos premières observations nous avaient conduits à éliminer comme facteur de la transmission de la maladie la contagion directe et à incriminer l’insecte ». C’est en ces termes clairs publiés en 1910 dans les Archives de l’Institut Pasteur de Tunis que Nicolle condense toute la portée épistémologique de la découverte du rôle du pou dans la transmission du typhus exanthématique, en 1909, à l’Institut Pasteur de Tunis.

Insistant sur la preuve, avec d’abord la reproduction expérimentale du typhus exanthématique chez le singe (Comptes rendus de l’Académie des sciences, juillet 1909), Nicolle, en scientifique rigoureux, fait ensuite la démonstration, avec ses collègues Charles Comte et Ernest Conseil, de la transmission expérimentale du typhus par le pou de corps (CR Ac. Sc. septembre 1909), scellant par ces deux articles princeps la validité de la découverte.

Charles Nicolle (1866-1936) est un médecin et biologiste né à Rouen. Il débute des études de médecine à Rouen et les poursuit à Paris. Après une activité de praticien hospitalier à Rouen, il est nommé en 1902 directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, poste qu’il occupera jusqu’à son décès en 1936. Ses travaux portent sur le paludisme, la brucellose, le trachome, sur la leishmaniose, notamment sur le kala-azar dont il établit l’étiologie. Nicolle introduit également la notion, chez certains réservoirs de virus, d’infection inapparente, d’« une maladie d’ordinaire aiguë, qui a son incubation, son évolution caractérisée par le pouvoir infectant du sang ou de tout autre organe, sa guérison et qui laisse, à sa suite, une immunité plus ou moins durable » et l’oppose à la forme latente :  « état subaigu ou chronique dans lequel le porteur conserve, sans en souffrir, le germe d’une maladie dont il a pu souffrir antérieurement et qui est susceptible de reprendre de la virulence » (pour lui-même ou pour transmission). Cette notion peut expliquer notamment certaines formes résurgentes du typhus. En 1909, il devient membre de la toute récente Société de pathologie exotique. Ce sont ses recherches sur le typhus exanthématique, menées dès 1906 avec Comte et Conseil, qui lui valent le prix Nobel de médecine en 1928. En 1932, il est nommé professeur au Collège de France.

Le typhus exanthématique, ou typhus historique, est une maladie causée par une rickettsie (R. Prowazeki), bactérie transmise par les déjections d’un pou contaminé. L’homme, en se grattant, s’inocule les rickettsies soit par les excoriations cutanées soit par les muqueuses. L’agent vecteur, le pou de corps, pediculus corporis, est strictement hémophage et est à la recherche d’individu (l’homme, seul réservoir certain) sain, propageant ainsi l’épidémie. Comme souvent, l’étymologie esquisse le tableau clinique. De nombreuses définitions le soulignent : tuphos, stupeur en grec, suggère l’état d’hébétude dans lequel se trouve le malade, exanthématique, du grec exanthema (fleurir), décrivant l’éruption cutanée de la peau. Dans la forme typique, l’incubation dure 14 jours, une forte fièvre en plateau (haute et stable) de 40° environ apparaît alors accompagnée de douleurs surtout rachidiennes et de céphalées. L’exanthème apparaît au 4e-5e jour, sous forme de tâches roses, il évolue ensuite vers des formes pétéchiales (tronc et membres). Les signes neurologiques surviennent, tels le « tuphos » qui peut alterner avec des syndromes méningés (délires). Avant l’antibiothérapie, la fièvre et l’état de stupeur persistaient durant deux semaines après lesquelles le malade pouvait guérir spontanément ; la létalité était cependant de 30 % des cas.

C’est dans un contexte de maladie endémique qu’intervient la découverte de Nicolle et de ses collaborateurs en 1909. Des épisodes épidémiques avaient déjà été relevés dès le XVIe siècle. Plus tard, les observateurs rapportent les épidémies tunisiennes de 1868, 1889, puis 1903, 1906, 1907 et 1909 à Tunis et dans sa région. Dès 1903, des études sur le typhus avaient été menées par des médecins (Franco, Mopurgo). En 1907, Ernest Conseil (1879-1930), médecin municipal de Tunis, plus tard collaborateur de Nicolle, insiste sur le fait déterminant, déjà relevé par ses prédécesseurs : l’encombrement humain. Ce sont en effet les prisons et les hôpitaux qui sont les plus touchés : on note en 1903 une épidémie à la prison de Tunis, à l’hôpital Sadiki et au pénitencier du Djouggar. L’épidémie sévère de 1906 part de la prison civile de Tunis.

On retiendra toute l’importance de l’observation de terrain à l’hôpital ou au pénitencier qui élimine la probabilité de la contagion directe d’homme à homme au profit d’un élément tiers dans le processus, ce qui a mené Nicolle (rappelons qu’il est médecin) et ses collaborateurs à la piste vectorielle. Nicolle a voulu, pour la postérité, redéfinir les conditions de sa découverte en une révélation soudaine, fulgurante, à la vue d’un malade à la porte de l’hôpital, matérialisant ainsi la barrière derrière laquelle le typhus n’existait pas puisque l’agent pathogène, la vermine, avait été chassé par le nettoyage des vêtements. Il a repris cette image lors de son discours de réception du prix Nobel en 1928. Ce n’est pas amoindrir la portée de la découverte que d’admettre qu’elle est surtout le fruit de travaux en place depuis 1906, ceux de Nicolle mais aussi ceux d’Ernest Conseil, de Charles Comte (1869-1943), qu’elle résulte de déductions (puisque ce ne sont ni les puces ni les punaises, la suspicion se resserre donc autour du pou), qu’elle est l’aboutissement, comme souvent, d’une maturation épistémologique nécessaire. Cette découverte s’insère dans un contexte de précision entomologique, où l’insecte sans aile s’avère aussi être un vecteur (puces et peste en 1896, tiques et diverses fièvres et parasitoses à partir de 1900). La même année, Howard Ricketts isole le germe à Mexico et Stanislaus von Prowasek découvre que la transmission du typhus se fait par les déjections plutôt que par la piqûre du pou.

Le typhus exanthématique est avant tout une maladie de la pauvreté, de l’hygiène défaillante, de la dénutrition, une maladie concentrationnaire. Le typhus tue le soldat, durant les guerres napoléoniennes, durant la Première Guerre mondiale et massivement durant la Seconde. Il tue surtout dans les camps de concentration nazis. La découverte de la transmission de la maladie par le pou revêt une importance majeure dans ce contexte guerrier. Elle procure enfin un outil de lutte prophylactique qui a pour but la destruction du parasite par l’hygiène corporelle (épouillage) et par les mesures sanitaires visant les vêtements et l’environnement immédiat. Grâce à l’application des principes prophylactiques définis par la découverte de Nicolle, le fléau est jugulé durant la Grande Guerre, notamment au bénéfice du front occidental. Actuellement, le traitement comprend l’antibiothérapie et la vaccination, la prophylaxie restant l’épouillage du malade et de ses vêtements.

Le typhus exanthématique n’est plus une maladie cosmopolite. On en trouve quelques foyers endémiques en Afrique (Burundi, Rwanda, Éthiopie) et dans une moindre mesure en Amérique latine, notamment dans les pays andins (Mexique, Guatemala, Équateur, Pérou, Bolivie).

 

Annick Opinel
centre de recherches historiques
Institut Pasteur

 

Source: Commemorations Collection 2009

Personnes :

Opinel, Annick

Liens