Page d'histoire : Création du franc Germinal 7-24 germinal an XI (7-14 avril 1803)

Balancier dit "d'Austerlitz";
ce balancier servant à la frappe des monnaies
a été fabriqué avec le bronze pris
aux Russes à la bataille d'Austerlitz.
Monnaie de Paris, Musée
© Monnaie de Paris, Musée

20 Francs, 1806, or, 6,46g
Monnaie de Paris,
Musée © Monnaie de Paris / JJ Castaing

La création du franc germinal constitue un moment très important de l’histoire du franc. Et pourtant la loi ne crée pas le franc. Le premier franc est une monnaie d’or valant une livre tournois, frappée en 1360 par le roi Jean II le Bon. Au XVI e siècle, une autre pièce porte aussi ce nom devenu peu à peu synonyme de livre, qui est la monnaie de compte sous la Royauté. Après la Révolution, deux jalons essentiels conduisent jusqu’aux lois de germinal an XI : l’adoption du système métrique et le système décimal appliqué à la monnaie, en 1793, puis l’instauration du franc comme unité monétaire de la République (loi du 28 thermidor an III 15 août 1795).

Si les lois de germinal an XI occupent une place si importante dans l’histoire du franc, c’est parce qu’elles sont le fondement sur lequel le système monétaire français va s’appuyer pendant plus d’un siècle. Établies avec prudence et souplesse, elles font suite à de nombreux débats, passionnés, souvent contradictoires, inventifs, qui touchent à des questions essentielles de la monnaie en France : faut-il ou non maintenir le rapport de l’or à l’argent établi en 1785 par Charles-Alexandre de Calonne, ministre de Louis XVI ? Quelles sont les mesures à prendre pour éviter que circulent dans le pays, en même temps que les francs, des monnaies de l’ancien système royal, des monnaies étrangères ou encore de fausses pièces de bas argent ou de billon qui sont nombreuses à être fabriquées à l’étranger pour être répandues sur les marchés français ? Faut-il ou non procéder à une refonte des monnaies d’or et d’argent ? établir le monométallisme argent ? Des hommes politiques, économistes, fonctionnaires des Finances sont associés aux débats comme Basterrèche, auteur d’un Essai sur les Monnaies dans lequel il affirme la suprématie de l’argent, ou Des Rotours, ancien premier commis des monnaies qui réfute cette proposition. Trois années seront nécessaires à Bonaparte, Premier consul, et à son ministre des Finances, Gaudin, pour faire aboutir les différents projets. Bonaparte attend aussi d’avoir obtenu la paix à l’intérieur et négocié la paix à l’extérieur pour faire voter cette loi.

La première loi, la loi du 7-17 germinal an XI (28 mars-7 avril 1803), comporte vingt-deux articles précédés d’une disposition générale, très brève : « cinq grammes d’argent, au titre de neuf dixième de fin, constituent l’unité monétaire qui conserve le nom de franc ». Elle réglemente la fabrication des monnaies et les conditions de leur fabrication. Elle énumère les pièces qui seront frappées, ¼, ½, ¾, 1, 2 et 5 francs d’argent ; 20 et 40 francs or, précise les figures et les légendes qui figureront sur les pièces.

Plusieurs principes généraux s’en dégagent :

1- L’argent est choisi comme étalon, l’or lui étant complètement subordonné. Cette invariabilité de l’argent par rapport à l’or est une garantie pour les transactions commerciales. Le lien de la monnaie avec le système métrique est confirmé.L’unité monétaire, qui conserve le nom de franc, a un titre et un poids immuable. Comme le précisait déjà la loi de thermidor an III, le titre de la monnaie sera neuf parties de ce métal pur et une partie d’alliage ; la pièce de 1 F sera à la taille de 5 g.

2- La loi confirme l’abandon de la notion de monnaie de compte utilisée sous la Royauté, qui était une valeur abstraite ¢la livre tournois représentée par une quantité de métal variable au gré du souverain. Désormais monnaie de compte et monnaie réelle coïncident. Fait notoire, la valeur de la monnaie ne dépend plus de la volonté du législateur.

3- La loi fixe le rapport entre l’or et l’argent à 15,5, soit 4,5 g d’argent pour 0,29 g d’or.

Ce rapport, s’il n’est pas clairement inscrit dans le texte de loi, se situe en continuité avec la grande réforme établie en 1785 par Calonne, que ses détracteurs n’eurent de cesse de remettre en cause pendant les débuts de la République et jusqu’à la préparation des lois de germinal an XI. Il est précisé qu’en cas de variation de l’or par rapport à l’argent, une refonte pourra être décidée, mais que seul l’or sera refondu.

4- Cette loi, qui se veut libérale, fait disparaître les pénalités contre le triage entre les bonnes et les mauvaises monnaies, pratiqué àgrande échelle par les marchands et les usuriers. De même le billonnage et la fonte des monnaies ne sont pas sanctionnés.Tout droit de seigneuriage, taxe perçue sur les fabrications, disparaît, ce qui aboutit en particulier à une réévaluation de la monnaie dans les opérations de change.

5- La loi cherche à accroître l’exactitude des fabrications en réduisant les tolérances de titre et de poids. Pour limiter les risques d’erreur, les espèces fabriquées en province sont vérifiées dans les ateliers monétaires parisiens, sous le contrôle de l’administration centrale.

La loi de germinal an XI ne cherche pas à résoudre tous les problèmes en même temps. Elle tente pourtant de donner une certaine confiance à l’économie, de permettre que les nouvelles monnaies l’emportent peu à peu sur les anciennes.

Autre fait significatif, en créant le franc germinal, Bonaparte impose une nouvelle symbolique sur les monnaies françaises. Sont abandonnées les figures allégoriques des débuts de la République, Hercule, symbolisant le Peuple entouré par la Liberté et l’Égalité, ou encore le buste de la Liberté coiffée d’un bonnet phrygien. Un seul symbole subsiste à l’avers des monnaies : la tête nue de Bonaparte, de profil, entourée de la légende BONAPARTE PREMIER CONSUL, tandis qu’au revers figure dans une couronne d’olivier la valeur faciale de la pièce, entourée de la légende RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Sur les premiers francs de germinal an XI, le portrait de Bonaparte est signé par Pierre-Joseph Tiolier, que le Premier consul vient de nommer graveur général, en remplacement d’Augustin Dupré,créateur des figures monétaires des débuts de la République. Par la suite Jean-Pierre Droz et Nicolas Brenet, choisis par concours, représenteront le Consul puis l’Empereur, respectivement pour les monnaies d’or et d’argent.

Après la loi du 7-17 germinal, une deuxième loi, complémentaire, est promulguée le 24 germinal (14 avril 1803). Elle se présente comme une tentative pour favoriser la refonte des monnaies de la royauté. La loi précise : les pièces d’or de 24 livres et de 48 livres, et les écus d’argent de 6 livres, rognés et altérés, ne seront plus admis dans les paiements qu’au poids. Ils seront portés dans les hôtels des monnaies pour y être refondus sans aucune retenue de frais de fabrication.

Le 24 germinal an XI, une autre loi est publiée, la première loi relative à la Banque de France. Elle précise que cette association privée, formée à Paris en 1800, aura le privilège exclusif d’émettre les billets de banque. La plus petite coupure prévue est de 500 francs. Sans établir de lien direct entre ces lois, il ne fait pas de doute qu’elles s’articulent l’une avec l’autre, Bonaparte mettant en place l’usage du billet en même temps qu’il cherche à assainir la circulation des monnaies métalliques. Donnée fondamentale, les billets sont convertibles en or et cette convertibilité se maintiendra pendant plus d’un siècle.

Les lois de germinal n’empêcheront pas à court terme l’anarchie monétaire de se poursuivre. Mais c’est à long terme qu’il faut les observer si on veut en mesurer l’importance. Peu à peu se bâtit un système cohérent, stable et solide qui va être repris à l’étranger. De 1803 à 1880, le franc germinal devient progressivement la monnaie de référence de plusieurs autres pays. Ainsi, en 1865, lors de l’Union monétaire latine, le franc français, le franc belge, le franc suisse et la lire italienne sont accrochés à ce système. En France, quels que soient les régimes politiques qui se succèderont au XIX e siècle, Empire, Monarchie, République, les périodes de troubles politiques et économiques, les lois de germinal an XI resteront le fondement du système monétaire. Seul le choc de la Grande Guerre, en 14-18, et l’érosion progressive du franc mettront un terme à ce document législatif de référence. En 1928, Poincaré décide une mutation du système monétaire, en redéfinissant l’unité monétaire, le franc, au cinquième de sa valeur.

Évelyne Cohen
conservatrice chargée du Musée de la Monnaie de Paris

Source: Commemorations Collection 2003

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