Page d'histoire : Vente de la Louisiane aux États-Unis 30 avril 1803

"Carte du Missicipy ou Louissianne
depuis la baye de l'Ascension
jusqu'à la pointe de la Mobille
dédié à Mgr le duc d'Estrées"
avec en dessous le plan et progay de la Nouvelle Orléans "
© service photographique du CAOM

La vente de la Louisiane par Bonaparte aux États-Unis marqua la fin d’une longue histoire qui s’étend sur trois siècles.

Absents de la première grande campagne des découvertes au XVe et au début du XVI e siècle, les Français commencèrent à s’intéresser à l’Amérique du Nord au début du XVIe. À partir de 1603, comme il a été signalé plus haut, les Français allèrent régulièrement au Canada et s’y installèrent.

Malgré leur petit nombre, les Français du Canada n’hésitèrent pas à se lancer dans l’exploration de l’intérieur du pays. Des coureurs des bois anonymes le parcoururent pour chasser les animaux à fourrure et servirent souvent de guides aux voyageurs. Vers 1630, Jean Nicolet atteignit le lac Michigan et, en 1674, Louis Jolliot et le Père Marquette découvraient le Mississippi que Cavelier de la Salle descendit en 1682 en traversant le pays qu’il baptisa Louisiane. En 1679, du Luth s’avança jusqu’au fond du lac Supérieur et tout un réseau de postes de traite aux fourrures s’établit dans la région des Grands Lacs.

Tandis que ces explorateurs parcouraient les immenses étendues du continent, la colonie s’organisait avec une administration calquée sur les institutions métropolitaines et la vie économique se développait assez modestement en raison de l’augmentation très lente de la population. Rebelles à l’émigration définitive, les Français furent incapables de peupler les territoires qu’ils exploraient. En 1715, malgré une forte natalité, le Canada français dépassait à peine 20 000 habitants alors que les colonies anglaises voisines dépassaient déjà les 300 000 et les clauses du traité d’Utrecht qui mit fin, en 1713, à la guerre de Succession d’Espagne, furent désastreuses pour le Canada. La cession à l’Angleterre de l’Acadie avec des frontières incertaines, de Terre-Neuve et des postes de la baie d’Hudson provoqua un encerclement des positions françaises.

Les Français avaient aussi largement poussé vers le sud avec les voyages de René-Robert Cavelier de la Salle qui, encouragé par le gouverneur Frontenac, avait réussi, au cours de plusieurs expéditions (1679-1683) à atteindre le golfe du Mexique après avoir parcouru plus de 3 000 kilomètres. Lors de sa dernière campagne, au cours de laquelle il fut assassiné par ses compagnons le 19 mars 1687, Cavelier avait commencé l’exploration des côtes du Texas où l’épave de son navire, la Belle, a été récemment retrouvée. Son œuvre fut continuée par Pierre Lemoyne d’Iberville qui, après s’être illustré par des succès à Terre-Neuve et à la baie d’Hudson, monta une expédition qui permit en 1699 la découverte des bouches du Mississippi. D’Iberville remonta le fleuve jusqu’au pays des Natchez où il fonda Fort-Rosalie. Quelques années plus tard, en 1717, son frère Lemoyne de Bienville fonda La Nouvelle-Orléans. Mais, comme au Canada, le peuplement ne suivit pas et, vers 1720, malgré les efforts de propagande du financier Antoine Crozat, fondateur de la Compagnie de la Louisiane, la population atteignait à peine cinq mille personnes.

À la mort de Louis XIV, les Français avaient donc exploré et constellé de quelques postes d’immenses territoires qui encerclaient par l’ouest les possessions anglaises de Nouvelle-Angleterre, ce qui allait provoquer des conflits permanents.

Au XVIIIe siècle, l’empire français d’Amérique, aux limites incertaines, ne connut pas la croissance économique et démographique qui aurait pu assurer son avenir, mais il continua à s’étendre vers l’ouest. Pierre de La Vérendrye, à partir de 1730, explora avec ses fils les régions situées au-delà des grands lacs jusqu’au Saskatchewan. En 1743, ses fils étaient les premiers Européens à apercevoir les Montagnes Rocheuses.

Démesuré par rapport à la faiblesse de sa population, cet empire possédait donc en lui-même les ferments de sa destruction. Sans se soucier du manque de moyens humains, les gouverneurs du Canada La Galisonnière et Duquesne pratiquèrent à partir de 1749 une politique d’expansion dans la vallée de l’Ohio qui ne pouvait que susciter l’inquiétude et la réaction des colons anglais. Et personne, en France, ne semblait ni prendre conscience du danger, ni faire preuve d’une volonté solide de défendre ce que Voltaire appelait avec une rare inconscience « quelques arpents de neige ».

La guerre dite de Sept Ans, précédée dès 1754 de graves incidents dans la vallée de l’Ohio où les troupes anglaises attaquèrent, sans déclaration de guerre, les postes français, ne pouvait être que désastreuse. Malgré quelques belles victoires remportées par Montcalm en 1755 et 1758, la prise de Québec en septembre 1759 puis celle de Montréal un an plus tard marquèrent la fin du Canada français sans que l’opinion du royaume s’en émeuve. Le traité de Paris du 10 février 1763 consacrait la fin d’un rêve d’empire et annihilait les efforts déployés depuis deux siècles par les colons, les explorateurs et les officiers du roi. La Louisiane, qui commençait à se développer, n’échappa pas au naufrage puisqu’elle fut partagée entre l’Espagne et l’Angleterre. Le roi ne conservait que Saint-Pierre et Miquelon. C’était la fin d’une Amérique que l’on aurait pu rêver française.

Si le passage du Canada dans l’empire britannique fut définitif, la Louisiane connut un ultime épisode français. Par le traité secret de San Ildefonso du 1er octobre 1800, conclu entre la France et l’Espagne, elle était rendue à la République en échange de territoires italiens et une administration française avec un préfet colonial se mit aussitôt en place. Mais la rupture de la paix d’Amiens empêcha le départ des troupes qui devaient en constituer la garnison. Bonaparte dut renoncer à son grand dessein d’empire américain. Conscient du caractère indéfendable du pays, il écouta favorablement les propositions du président Jefferson, transmises par James Monroë. Le 30 avril 1803, le traité de cession de la Louisiane aux États-Unis était signé, prévoyant une indemnité de 80 millions. Il ne subsistait plus de cette longue histoire que quelques monuments et de nombreux souvenirs.

Étienne Taillemite
inspecteur général des Archives de France

Source: Commemorations Collection 2003

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