Page d'histoire : Pierre Benoit Albi, 16 juillet 1886 - Ciboure (Pyrénées-Atlantiques), 3 mars 1962

À M. Pierre Benoit, dont j’admire l’extraordinaire talent

En 1954, le général de Gaulle dédicace ainsi ses Mémoires de Guerre. Dans cette réconciliation entre les deux hommes, le qualificatif est exactement ce qui convient à l’écrivain : pas du génie, mais un immense talent. Et on ajoutera ici : Pierre Benoit fut fondamentalement un homme de passions.

Passion pour la France d’abord. La jeunesse de ce fils d’officier s’est déroulée dans des villes de garnisons, d’Albi, où ce Landais naquit par hasard le 16 juillet 1886, jusqu’à Tunis, où il compléta ses études secondaires : partout, il fut bercé des évocations de la grandeur de la France. Plus tard, lieutenant combattant au Chemin des Dames, il écrivait à Anna de Noailles : « Et voilà la chose arrivée, la guerre universelle, la chère France éternelle menacée. Vous comprenez la joie pour un nationaliste de sortir un peu de la théorie ». La France encore, inlassablement glorifiée plus tard, au long de ses innombrables voyages, notamment au Liban.

Passion pour l’autre : cet épistolier a écrit des dizaines de milliers de lettres, ce journaliste a publié des centaines d’articles, cet homme du monde (élu en 1931 à l’Académie française) a composé d’innombrables préfaces ou discours, ce spécialiste des arts de la scène écrivait des scénarios, suivait les adaptations de ses œuvres, réverbérées dans le miroir des représentations et dans les yeux des actrices qui les interprétaient.

Passion enfin pour la vie, de cet homme contradictoire, avide de solitude autant que d’amitié, nomade des femmes autant que des pays, client impénitent des chambres d’hôtel et des cabines de bateaux, dans lesquelles il écrivit la majeure partie de son œuvre. À Paris, il n’eut jamais de domicile, avant son mariage tardif en 1947 avec Marcelle. Il se sédentarisa enfin au Pays basque, à Ciboure, où il mourut le 3 mars 1962, enterré dans un cimetière marin, ce qui était la moindre des choses pour ce si terre à terre coureur d’océans.

Mais surtout, passion dévorante pour l’écriture de fiction, dès les foudroyants succès de ses deux premiers romans : Koenigsmark en 1918 (qui fut le numéro 1 de la collection « Livre de Poche »), et L’Atlandide en 1919 (dont les tirages cumulés ont dépassé le million d’exemplaires). Son œuvre romanesque est constituée de 42 titres, célèbres ouvrages à la couverture jaune de son éditeur unique, Albin Michel, que l’on retrouvait sur les étagères de tous les foyers français. Romans qui portaient des titres restés fameux : simples désignations, comme Mademoiselle de la Ferté ou L’Ile Verte, prénoms de femmes comme Axelle ou Alberte, ou formulations exotiques, bibliques, ésotériques, de La Châtelaine du Liban (en 1924) à Montsalvat (en 1958).

Pris individuellement, chaque roman est clos, avec son intrigue, son lieu, sa thématique, son héroïne, son dénouement. Mais, considérée dans sa globalité, l’œuvre de Pierre Benoit est une « tragédie humaine », sans retour des personnages certes, mais avec des thèmes récurrents qui lui donnent sa véritable cohérence : guerre, religions, homosexualité latente, histoire et mythes, femmes fatales et femmes fractales, et le vaste monde. Elle possède une architecture très marquée : numérologie (nombre et longueur des chapitres), l’initiale « A » du prénom de l’héroïne, présence d’un thème « technique » très documenté. Et un style facilement caractérisable : lexique des adjectifs, tournures syntaxiques parfois vieillies, modernité des changements de narrateurs, abondance des dialogues.

Ainsi Pierre Benoit, oublié par les universitaires mais encensé par des millions de lecteurs, peut-il être lu comme un auteur archétypal de l’écriture romanesque, celle de l’ailleurs, de la femme, des passions, du destin, mais aussi comme l’architecte conscient d’une « œuvre complète » poursuivie jusqu’à sa mort.

Maurice Thuilière
vice-président de l’association des Amis de Pierre Benoit

Source: Commemorations Collection 2012

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