Page d'histoire : Mansart remet à Louis XIV la clef de l'église du dôme des Invalides Paris, 28 août 1706

Depuis la pose de la première pierre de l’Hôtel royal des Invalides, le 30 novembre 1671, Louis XIV aura attendu trente-cinq ans pour assister, dans l’église royale, à la première messe suivie du Te Deum et d’un motet de Lalande, chanté par quatre chœurs de musique placés dans les quatre -tribunes nichées aux creux des avant-corps des colonnes du dôme. C’était le
28 août 1706.

Ce matin-là, aux abords de l’Hôtel, une foule immense s’agglutine derrière le rempart formé par les six cents invalides rangés en formation de bataille. La haie se déploie jusque dans l’église, relayée par les cent Suisses de la garde royale tandis que fifres et tambours battent aux champs. Devant l’entrée de l’église du dôme, l’architecte Jules Hardouin-Mansart accueille Louis XIV accompagné de Monseigneur et de Madame. En lui remettant la clef de l’édifice, il se prosterne en prononçant ces paroles : « Heureux si ce travail que vous avez confié à mes soins depuis trente années peut répondre à la haute idée que Votre Majesté m’en a donnée et à ses sages conseils ! Ce superbe monument de votre religion marquera à la postérité la plus reculée la grandeur de votre règne. »

Louis XIV rend alors la clef d’or à son surintendant des Bâtiments d’une « telle manière, précise le Mercure galant, qu’il lui fit connaître ainsi qu’à toute la cour qui était attentive à tout ce qui se passait, combien Sa Majesté était contente de lui et de ses ouvrages ».

Dans cette église royale qui brille de mille feux, le roi découvre la -coupole peinte par La Fosse. Le décor s’articule autour d’un savant dosage de peinture et de sculpture : aux peintres les parties célestes et les envolées lyriques inspirées de la mythologie chrétienne ; aux sculpteurs le niveau terrestre de l’édifice.

Lorsqu’en 1670, Louis XIV a décidé de construire au bout du Faubourg Saint-Germain « un hostel royal d’une grandeur et espace capable d’y recevoir et loger tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caduques et d’y assurer un fonds suffisant pour leur subsistance et entretènement », il veut que l’ensemble architectural réponde aux diverses fonctions d’hôpital, d’hospice, de caserne et de monastère. C’est le projet de l’architecte du roi Libéral Bruant qui est retenu tandis que Louvois se voit confier la direction du grand dessein royal.

Si la réalisation des bâtiments destinés au logement des vieux soldats ne dure que trois ans, il n’en est pas de même pour l’église qui doit s’élever dans l’axe de l’entrée, au revers de la cour d’honneur. Toute la difficulté du projet tient dans sa double fonction : elle devra être l’église des soldats – donc -comporter un espace réservé aux pensionnaires qui y accèderont directement de leur logis – mais aussi église royale ouverte sur l’extérieur, pour y accueillir le roi, son fondateur, et y recevoir l’hommage des protecteurs de l’institution. Deux missions difficiles à concilier sur lesquelles Libéral Bruant achoppe.

Louvois s’adresse alors, en mars 1676, à un jeune architecte de trente ans, Jules Hardouin-Mansart, petit-neveu du grand François Mansart. Un mois plus tard, celui-ci envoie son projet au ministre. S’inspirant des premières épures de Libéral Bruant et des dessins de François Mansart pour la chapelle des Bourbons à Saint-Denis, l’architecte propose de conserver la nef imaginée par Bruant, pour en faire le « chœur » destiné aux invalides ; elle devient donc un élément d’une imposante croix grecque, couverte à la croisée par une immense coupole. Ainsi résout-il le problème des deux églises : d’un côté le « chœur » réservé aux soldats, de l’autre l’église royale ouverte sur l’extérieur ; ces deux -éléments étant raccordés par un sanctuaire, de plan ovale.

Dès 1676, Jules Hardouin-Mansart met en œuvre la construction des églises et poursuit l’achèvement des bâtiments. Plans et maquette attendent pourtant l’approbation de Louis XIV, qui est enfin accordée le 5 février 1677. Puis à la mort de Colbert en 1683, Louvois ajoute à ses attributions la surintendance des Bâtiments, arts et manufactures ; occasion inespérée pour augmenter la somme allouée à la construction de l’église royale de 100 000 livres à 400 000 livres ! Les années passent et le ministre s’impatiente. Un jour de juillet 1691, les yeux fixés sur la coupole, il murmure à l’oreille du jeune -architecte : « Hâtez-vous, si vous voulez que je voie le dôme achevé ». Quelques jours plus tard, le 16 juillet, Louvois meurt subitement à Versailles, victime d’un malaise alors qu’il travaillait avec le roi.

Jules Hardouin-Mansart poursuit sa tâche tandis que Louis XIV surveille lui-même les derniers aménagements de l’église : le roi et son architecte, promu surintendant des Bâtiments depuis 1699, parcourent le chantier. S’il a provoqué des grincements de dents, le choix des artistes semble satisfaire le visiteur royal : La Fosse a remporté la peinture de la coupole sur le trop vieux Mignard. Girardon a eu le temps d’imprimer une cohérence à l’ensemble sculptural, avant de tomber en disgrâce. Il est vrai que l’entente avec le bouillant architecte n’était pas aisée ; et le surintendant lui a préféré les Lyonnais Coysevox et Nicolas Coustou.

Mais les guerres ayant sérieusement amputé le budget royal, les artistes ont pris des libertés. Ainsi, pour la coupole sous charpente, celle de la calotte du dôme, La Fosse a finalement abandonné le schéma initial, véritable exaltation des conquêtes armées de la France, au profit d’une composition plus simple : alors que les anges occupent le pourtour, seuls émergent le Christ et saint Louis qui lui présente la couronne, l’épée et le blason, ses attributs royaux.

Cette glorification de la monarchie séduit Louis XIV. En admirant longuement l’œuvre de La Fosse, ce fameux 28 août 1706, il a glissé à l’oreille de Jules Hardouin-Mansart le plus beau des compliments : « Il faut lui faire peindre la chapelle de Versailles. »

 

Anne Muratori-Philip
membre correspondant
de l’Académie des sciences morales et politiques

Source: Commemorations Collection 2006

Liens