Page d'histoire : Jean-Christophe de Romain Rolland paraît en feuilleton aux « Cahiers de la Quinzaine » 1904

Édition originale,
© cliché Bibliothèque nationale de France

Après le succès de sa Vie de Beethoven, en 1903, aux « Cahiers de la Quinzaine », Romain Rolland s’entend avec Charles Péguy pour qu’y soit publié le roman auquel il songe depuis plusieurs années : Jean-Christophe. Il veut, par cette œuvre nouvelle, poursuivre la lutte qu’il a entreprise contre l’asthénie de son époque : « ESSENTIEL. Je ne fais pas une œuvre d’art. Je fais une œuvre de foi », écrira-t-il. L’aventure sera longue. Les dix cahiers prévus deviendront dix-sept ; la publication s’échelonnera de 1904 à 1912 : « Il ne s’agissait point de succès. Il s’agissait d’obéir à l’ordre intérieur. »

Le roman en dix volumes, de L’Aube à La Nouvelle Journée, raconte la vie d’un musicien de génie qui, après avoir traversé une série de crises, réussit à atteindre la joie et à se fondre dans l’Être universel. Tout le livre est dominé par cette présence centrale, dont Jean-Christophe Krafft prend, peu à peu, conscience. La vie du héros se transforme ainsi en quête d’une sagesse : il doit passer par une série d’épreuves, les « cercles de l’Enfer », maîtriser ses passions, avant de dominer sa vie et d’atteindre à l’Harmonie, qui est coïncidence avec le rythme de la Vie universelle.

À quoi s’ajoute une autre dimension : le héros, un Allemand, vient en France, voyage en Suisse et en Italie. L’occasion est belle de dresser un portrait contrasté de chaque nation, de montrer leurs complémentarités et, au moment de la montée des périls, de plaider la cause de la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Le roman est, aussi, le miroir d’une époque et le cri d’alarme d’un homme qui, effrayé par la montée des nationalismes, plaide la cause d’une Europe unie.

À la décadence, à la mort, Romain Rolland oppose un message d’espoir et la loi d’amour : « Le seul bonheur durable est de nous comprendre mutuellement pour nous aimer : – intelligence, amour, – seul éclair de lumière qui baigne notre nuit, entre les deux abîmes, avant, après la vie. » Le roman devient un roman de la réconciliation : de l’homme avec soi-même, des peuples entre eux.

 

Bernard Duchatelet
professeur émérite de littérature française
université de Bretagne occidentale

Source: Commemorations Collection 2004

Liens