Page d'histoire : Abbé Henri Breuil Mortain (Manche), 28 février 1877 - L'Isle-Adam (Val-d'Oise), 14 août 1961

L’abbé Breuil dans son jardin de l’Isle Adam en juillet 1933
Saint-Germain-en-Laye, Musée d’archéologie nationale
© RMN / Thierry Le Mage, DR

Au milieu du XIXe siècle, la préhistoire se constitue en discipline scientifique à l’échelon international. Cinquante ans plus tard, elle connaît une profonde refonte de ses concepts et de ses pratiques. En France, ce mouvement est en grande partie animé par une nouvelle génération de préhistoriens, parmi laquelle l’abbé Henri Breuil joue un rôle de premier plan. Par le caractère novateur de ses travaux, le réseau de correspondants qu’il met en place et son action sur l’organisation institutionnelle de la discipline, l’abbé Breuil a largement dominé la préhistoire française et européenne durant la première moitié du XXe siècle, et au-delà jusqu’à sa mort en 1961.

Né en 1877, Henri Breuil effectue sa scolarité à Clermont-de-l’Oise puis au collège Saint-Vincent des frères maristes à Senlis. En 1895, il intègre le séminaire de philosophie de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux. Passionné de botanique et d’entomologie, il s’oriente alors vers l’étude de la préhistoire suivant les conseils de son professeur d’histoire naturelle, l’abbé Jean Guibert (1857-1914). Durant les étés 1897 et 1898, Breuil explore les régions où la préhistoire se construit jour après jour : Aquitaine, Charente, Pyrénées… Il s’attache à visiter les sites et les collections et surtout à rencontrer les principaux préhistoriens ; il fait notamment la connaissance d’Édouard Piette (1827-1906) qu’il considèrera désormais comme son maître en préhistoire. Poursuivant sa formation religieuse au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, Henri Breuil est ordonné prêtre le 23 décembre 1900. Il considère que science et foi sont deux domaines distincts qui n’entrent pas en conflit et obtient de sa hiérarchie une dispense de cinq années pour parfaire sa formation scientifique. Cette période, au cours de laquelle il passe une licence ès sciences naturelles à l’Université catholique de Paris (1903) et une thèse d’habilitation (1905), l’oriente définitivement vers une carrière scientifique.

Dans les premières années du XXe siècle, le jeune abbé Breuil prend une part active à deux controverses qui conduisent à repenser en profondeur la conception même des temps préhistoriques. La première concerne la reconnaissance de l’art pariétal paléolithique qui change radicalement le regard porté sur l’homme préhistorique et révèle que celui-ci avait également été un artiste. Après 1902, Breuil fait des grottes ornées un de ses principaux thèmes de recherche. Cela le conduira à passer d’innombrables mois sous terre pour effectuer des milliers de relevés et à publier plusieurs forts volumes abondamment et savamment illustrés.

La seconde controverse fut la « bataille de l’Aurignacien » ouverte à partir de 1904 et que Breuil considère dans son autobiographie comme « l’une des plus vives [qu’il ait] eu à soutenir ». Celle-ci conduisait à remettre en question non seulement la succession des cultures préhistoriques, mais également la conception générale du progrès technique que le XIXe siècle avait élaborée et jusqu’aux pratiques mêmes des préhistoriens, en montrant que l’étude du terrain devait primer sur l’étude des collections. En concourant à refonder le cadre général de la connaissance préhistorienne, l’abbé Breuil se plaçait d’emblée comme un chercheur avec lequel il allait désormais falloir compter.

Préhistorien incontesté, l’abbé Breuil n’en a pas moins du mal à obtenir une position officielle, à une époque où la préhistoire ne -constitue pas une discipline institutionnalisée. En 1905, il obtient un poste de privat-docent – puis de professeur extraordinaire – de préhistoire et d’ethno-graphie à l’université de Fribourg en Suisse. Il l’occupe jusqu’en 1910, année où il rentre en France pour participer à la création de l’Institut de paléontologie humaine à la demande du prince Albert Ier de Monaco. À partir de 1920, date de l’inauguration de l’institut, il y enseigne l’ethnographie préhistorique, tout en poursuivant ses propres recherches avec l’aide de quelques élèves promus au rang de collaborateurs. Mais c’est en 1929 que se produit ce que Breuil considère comme la consécration de sa carrière puisque le Collège de France crée à son intention la chaire de préhistoire qu’il occupera jusqu’en 1946. En mai 1938, il est élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, honneur qui est à replacer dans un ensemble de distinctions et de marques de considération provenant de nombreuses institutions françaises et – sûrement davantage encore – étrangères : docteur honoris causa des universités de Cambridge (1920), Oxford (1926), Capetown (1929)…, récipiendaire de nombreuses décorations honorifiques décernées par le milieu académique international, membre correspondant ou honoraire de plus d’une quarantaine d’académies et sociétés savantes à travers le monde…

Cette dimension internationale est constitutive de l’œuvre et de la personnalité mêmes de l’abbé Breuil. Elle se manifeste notamment par une succession ininterrompue de voyages qui le conduisent dans presque tous les pays du monde. Certes, Breuil a ses destinations de prédilection : son intérêt pour l’art pariétal dirige ainsi très souvent ses pas vers l’Espagne, au point qu’il pourra calculer qu’en 1919 il y a déjà passé cinq années. De même, il se rend en Chine à deux reprises, en 1930 et 1935, pour étudier, aux côtés du père Teilhard de Chardin (1881-1955), le site de Zhoukoudian qui a livré les restes et les industries d’un hominidé fossile : le Sinanthrope. L’Afrique du Sud tient également une place importante dans sa carrière internationale. Après un premier séjour de plusieurs mois durant l’année 1929, il est invité en 1942 par Jan Smuts (1870-1950), premier ministre de l’Union sud-africaine, qui lui propose un poste rémunéré à l’université de Witwatersrand à Johannesburg. Malgré des retours en France en 1945-1946 et 1949, Breuil y demeure jusqu’en 1951, explorant toute l’Afrique australe et développant l’étude de ce qui devait être son dernier grand domaine de recherche et de publication : l’art rupestre bushman.

À la fin des années 1950, l’abbé Breuil s’est imposé comme une figure incontournable de la préhistoire française dont l’œuvre considérable (sa bibliographie comporte plus de 800 titres) connaît un rayonnement international. Considéré comme le « pape de la préhistoire », il n’est pas seulement sollicité pour son expertise scientifique mais également pour prendre part aux instances qui organisent et contrôlent la recherche archéologique. Enseignant par nécessité mais bien plus sûrement et fondamentalement chercheur, il n’eut pas vraiment de continuateur déclaré. Pour autant, son œuvre constitue une étape parfaitement pertinente et identifiable dans l’émergence de la préhistoire moderne telle qu’elle se mettra en place en France après sa disparition.

Noël Coye
docteur en préhistoire
conservateur du patrimoine

Source: Commemorations Collection 2011

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