Page d'histoire : Sortie d'Un homme et une femme de Claude Lelouch 27 mai 1966

Claude Lelouch était un jeune cinéaste de vingt-neuf ans, totalement ruiné, auteur de cinq longs métrages au sort malheureux. Le moins malchanceux avait été le quatrième qui, en 1964, avait réuni 195 000 spectateurs dans toute la France. Parfait autodidacte, Lelouch avait ainsi fait ses classes. Quant à l’argent perdu, il allait être dédommagé au-delà de ses rêves les plus fous, grâce à une série de miracles, comme il ne s’en  rencontre guère qu’au cinéma. En quelques heures et quelques coups de téléphone, le jeune homme sans le sou allait devenir un homme célèbre et riche, très riche même. Au départ, il y eut d’abord la rencontre avec le futur académicien Maurice Rheims qui fit sélectionner pour le Festival de Cannes son film Un homme et une femme : il obtint la palme d’or dans une compétition où figuraient Orson Welles, Joseph Losey et d’autres gros calibres. Enfin, quelques mois plus tard, c’était la consécration suprême : l’oscar du meilleur film étranger, décerné à Hollywood devant le gratin du cinéma mondial. En France, Un homme et une femme allait attirer plus de quatre millions de spectateurs, record de la quarantaine de films que produira ensuite le réalisateur, marié avec le succès pour de longues années. Dans cette production, plus de vingt titres allaient dépasser ou frôler le million d’entrées, cas probablement unique dans le cinéma français. À ce tableau idyllique, une seule ombre pourtant : la critique. Celle-ci mettra des années à adopter Claude Lelouch et son cinéma, faisant la fine bouche devant un triomphe à ses yeux démesuré sinon immérité. Voici comment l’excellent historien du cinéma Vincent Pinel présente Un homme et une femme dans son ouvrage classique, Le Siècle du cinéma : « À Deauville deux solitaires se rencontrent. Tout Lelouch est là : gentillesse, facilité, sentimentalité de roman-photo et virtuosité de chefopérateur. » Ignorant le concours précieux de deux magnifiques interprètes, Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, et celui d’une musique devenue fameuse, ces mots résolument dédaigneux résument bien la réputation qui suivra Claude Lelouch pendant des années. Il lui faudra attendre plus de vingt ans le brevet de respectabilité décerné par les Cahiers du cinéma. Il fut longtemps de bon ton de mépriser son oeuvre et de dire comme Cocteau en une autre occasion : « Personne n’aime cela, sauf le public. » Aujourd’hui, c’est unanimement ou presque que sont reconnus les mérites de l’éternel jeune homme bientôt octogénaire, réalisateur d’Un homme et une femme et de beaucoup d’autres films.

Philippe d’Hugues
ancien administrateur général du Palais de Tokyo
historien du cinéma

Source: Commemorations Collection 2016

Liens