Page d'histoire : Pauline Garcia Viardot Paris, 18 juillet 1821 - Paris, 18 mai 1910

Le salon de Pauline Viardot, rue de Douai à Paris
© Bibliothèque Nationale de France

Pauline Garcia Viardot naît et grandit dans le monde de la musique. Son père, Manuel Garcia, l’un des plus grands ténors de son temps, également compositeur, a mis au point une méthode d’enseignement du chant qu’il a successivement utilisée envers son épouse Joaquina, soprano, son fils Manuel qui deviendra le plus grand « réparateur de voix » de son temps, et sa fille aînée, Maria, la future Malibran.

Manuel entreprend très tôt l’éducation musicale de Pauline. Pianiste ou cantatrice ? De cette enfant douée, il ne sait ce qu’il fera et lui donne Franz Liszt pour professeur. Pauline n’a pas onze ans lorsqu’il meurt en 1832, mais il a laissé un plan d’éducation vocale que Joaquina suit avec une rigueur exemplaire. Franz Liszt voyait dans son élève une future virtuose, mais la mort brutale de Maria Malibran en décide autrement. Joaquina tranche : l’aînée n’étant plus, la seconde sera cantatrice et, en 1838, elle envoie Pauline, à 17 ans, se produire à Bruxelles.

Pénétrer le monde des divas est rude. Pauline doit d’abord surmonter le handicap d’une sœur entrée dans la légende. On la dit laide alors que Maria avait un visage d’ange. En fait, elle paraît laide par rapport aux normes de l’époque. Théophile Gautier signale son noble port de tête, Musset en sera un temps amoureux, Louis Viardot l’épousera, Berlioz, à la fin de sa vie, en subira la fascination, et Ivan Tourgueniev restera quarante ans à ses pieds. Pauline rayonne d’intelligence, de charme, de bonté. Outre son talent de pianiste, elle joue de l’orgue, compose, parle cinq langues, dessine.

Dès ses premières apparitions, elle est remarquée. Frappés tant par la qualité et l’étendue de sa voix que par l’expression de son chant, le critique allemand Rellstab, Hector Berlioz et Meyerbeer décèlent ses dons et lui prédisent un grand avenir. Parallèlement, elle conquiert Alfred de Musset qui l’introduit dans les salons parisiens, et George Sand qui la prend pour modèle de Consuelo et lui fait épouser Louis Viardot, érudit, amateur d’art et de chasse, de vingt ans plus âgé.

Il faut ensuite à Pauline s’introduire sur les grandes scènes lyriques détenues par les Persiani, Grisi, Lindt et Stoltz. Cette dernière, maîtresse du directeur de l’Opéra de Paris, lui en ferme les portes durant dix ans. Après des tournées réussies en Angleterre et en Espagne, Pauline remporte son premier triomphe à Saint-Pétersbourg durant l’hiver 1843-44 : la voici sacrée prima donna assoluta. De ses admirateurs se détachent un jeune et brillant intellectuel, Ivan Serguei Tourgueniev, qui deviendra un intime du couple Viardot, et un mélomane avec qui elle entretiendra une correspondance, le comte Wielhorsky. C’est le début d’une ascension qui la portera au sommet. Elle chante Mozart, Rossini, Donizetti, Bellini dans toutes les capitales européennes. Pour elle Meyerbeer écrit Le Prophète, Gounod Sapho et, en 1860, Berlioz réorchestre L’Orphée de Gluck. Non seulement sa voix et sa technique vocale sont impressionnantes, mais elle régénère, comme plus tard une Callas, l’expression dramatique et le jeu de scène.

Parallèlement, la cantatrice s’illustre à d’autres titres. En 1854, elle vend ses bijoux pour acquérir le manuscrit du Don Giovanni de Mozart qu’elle léguera plus tard au Conservatoire. Quatre années auparavant, les Viardot avaient fait construire un hôtel à Paris, rue de Douai. Pauline y organise des soirées musicales restées célèbres. Du monde de la musique y viennent ou y viendront Chopin, Rossini, Saint-Saëns, Gounod, Berlioz, Franck, Massenet, Fauré, Bizet, Colonne, Pasdeloup ; de celui des peintres et illustrateurs, Scheffer, Delacroix, Corot, Duez, Hébert, Chintreuil, Doré ; de l’univers des écrivains George Sand, Tourgueniev, Flaubert, Renan. Pauline joue sur le très bel orgue commandé à Cavaillé-Coll et chante, les amis compositeurs et interprètes interviennent, l’on peut entendre l’illustre violoniste hongrois Joachim ou le pianiste allemand Damcke.

En 1863, Pauline a en partie perdu sa voix et les idées libérales du couple Viardot déplaisent au pouvoir. Avec leurs trois filles, Louise, Marianne, Claudie, et leur fils Paul, ils s’installent à Baden-Baden, élégante station balnéaire où le Tout-Paris fusionne avec le Tout-Saint-Pétersbourg et le Tout-Vienne. Épisode enchanteur. Là, Pauline fait de sa villa un centre artistique et intellectuel. Elle chante en concert, enseigne et compose, en particulier des opérettes dont Tourgueniev, qui a rejoint ses amis, écrit les livrets. Jouées par ses enfants et ses élèves, elles remportent les suffrages de Clara Schumann, Liszt, Brahms.

La guerre de 1870 met fin à ces années idylliques. Après un sombre séjour à Londres, la famille se réinstalle rue de Douai, les soirées musicales reprennent. Louise poursuit une carrière musicale à l’étranger, mais Paul, violoniste confirmé, Marianne et Claudie qui chantent, y participent. Tourgueniev habite désormais le dernier étage de l’hôtel particulier. Il achète à Bougival, en 1874, un vaste domaine les Frênes, dont Pauline a la nue-propriété. Il s’y fait bâtir un chalet ; l’aimable vie de Baden-Baden, avec un peu moins de faste toutefois, peut reprendre.

Généreuse, aventureuse, Pauline a toujours aidé les jeunes talents. C’est grâce à elle que l’opéra de Gounod, Sapho, dont elle s’est engagée à chanter le rôle-titre, est donné à Paris, en 1850 et, douze ans plus tard, elle réitère avec le Marie-Magdeleine du jeune Massenet dont elle assure le rôle éponyme.

« Je déteste écrire un mot. Une fois que je m’y mets, j’envoie une petite portion complète de moi-même sous toutes ses faces, et pour cela une feuille de papier ne me suffit pas » précise Pauline dans un courrier. Épistolière née, elle livre, au fil de lettres écrites entre deux répétitions ou au soir d’une première, un irremplaçable témoignage sur sa vie d’artiste comme sur sa vie privée. Outre ses correspondants habituels, George Sand, Clara Schumann, Ivan Tourgueniev, le comte Wielhorsky, le chef d’orchestre Julius Rietz, elle tisse des liens avec toute l’intelligentsia du XIXe siècle.

En 1883, Pauline voit disparaître les deux êtres qui ont été les piliers de son existence : Louis Viardot et Ivan Tourgueniev. Un temps anéantie, elle réagit, vend les témoins du passé, s’installe boulevard Saint-Germain. Louise et Paul poursuivent leurs carrières à l’étranger, mais elle voit Marianne, Claudie et ses petits-enfants. Elle enseigne, écoute, conseille, reçoit, fait entendre de l’excellente musique. En 1904, elle compose une dernière opérette : Cendrillon.

À quatre-vingt-neuf ans, Pauline a tout connu, la gloire et probablement l’amour. Pour elle, on a écrit des opéras. Elle a chanté, joué du piano, de l’orgue, composé, transmis son art, tenu des salons, rassemblé autour d’elle d’innombrables amis, assisté jusqu’à la fin ceux qu’elle aimait, veillé autant qu’elle a pu sur ses enfants. Des compositeurs et des artistes célèbres ont été ses admirateurs et ses amis. Que pourrait encore faire Pauline ? Le 18 mai 1910, elle s’éteint, le sourire aux lèvres.

Michèle Friang
historienne
présidente de l’association  À l’écoute d’Augusta Holmès et de Pauline Viardot

Source: Commemorations Collection 2010

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