Page d'histoire : Marie Curie (1867-1934), Prix Nobel de chimie Stockholm, 10 décembre 1911

Photographie extraite de l’Album de 500 célébrités contemporaines (création de la Maison F. Potin)
Paris, Musée d’Orsay
© RMN (Musée d’Orsay) / Franck Raux

Marie Curie, les plus récents sondages l’attestent, est, parmi toutes les Françaises, celle que nos compatriotes ont placée sur la plus haute marche du podium de la notoriété.

Mais pour la plupart d’entre eux, quelle sinistre image ils se font d’elle ! C’est la dame en noir de la physique, l’Édith Piaf du radium, l’inconsolable veuve de Pierre Curie. Celle qui passe sa vie dans un hangar glacial ou torride à charrier des tonnes de pechblende. Celle qui deux fois nobellisée, repose définitivement pétrifiée sous les voûtes austères du Panthéon…

Quelle erreur !

Car Maria Sklodowska n’est pas uniquement cette chercheuse frénétique, cette martyre de la science laïque dont les manuels scolaires nous ont longtemps donné la trop pieuse image…

Marie, cette pauvre et jolie Polonaise débarquée à Paris après y avoir expédié son matelas, baragouinant un français approximatif, comment est-elle devenue celle dont l’univers célèbre le génie scientifique ? Voilà qui mérite notre intérêt et notre curiosité.

Et puis Marie, femme de chair et de sang, n’est pas à l’abri de ces erreurs, de ces défauts et de ces faiblesses qui nous rapprochent d’elle : humble ? Oui, parfois, mais orgueilleuse aussi, et s’acharnant à prendre de vitesse les physiciens concurrents. Modeste sans doute, mais très, trop sûre d’elle. Rationaliste évidemment, mais elle participe à des séances de spiritisme…

Modèle d’entente conjugale, au point de former avec Pierre Curie le couple de scientifiques le plus célèbre de l’histoire, ne voilà-t-il pas qu’après sa mort, on découvre sa liaison avec un ancien élève de Pierre, un homme marié, père de famille nombreuse et circonstance aggravante, beaucoup plus jeune qu’elle ? Pis encore, l’amant n’est autre que le déjà célèbre Paul Langevin, professeur au Collège de France…

Pour ses beaux yeux, il quitte sa femme et ses quatre enfants…

C’est pain bénit pour la presse qui publie les lettres d’amour de la femme savante. Quelle horreur ! on la présente comme une métèque qui « déshonore » (sic) la science française.

C’est en 1911 son second Nobel, un Nobel de chimie qui, la sauvant de la dépression et du suicide, lui permettra finalement de reprendre sa tâche, et de montrer, pour la première fois, qu’une femme est capable d’égaler voire de dépasser les hommes dans la compétition scientifique.

Ses efforts se poursuivent, acharnés, malgré une santé que les rayonnements du radium détériorent de plus en plus. En 1934, ils la tueront.

Pour qu’elle revive à présent parmi nous, ne l’évoquons pas seulement derrière les tubes à essai et les ballons de son laboratoire ou au sein des congrès internationaux, mais aussi dans sa vie quotidienne d’épouse, de mère et de grand-mère, dans ces balades à bicyclette ou ces promenades à la campagne qu’elle affectionnait, cette princesse de la saga scientifique dont la vie n’a nul besoin d’être enrichie pour passionner les amateurs de destins romanesques.

On s’étonnera sans doute que Marie Curie ait reçu deux prix Nobel, ce qui n’était jamais advenu à qui que ce fût jusqu’alors. Ce point d’histoire mérite quelques éclaircissements. En 1903, avec l’assistance de Pierre, Marie avait déjà, cinq ans plus tôt, découvert le radium. Cependant ce fut un Nobel de physique qui fut alors décerné simultanément à Henri Becquerel pour sa « découverte de la radioactivité spontanée » dégagée par l’uranium et aux Curie pour leurs « recherches communes sur les phénomènes de radiation découverts par le professeur Becquerel ». Pas la moindre allusion à la découverte d’un nouvel élément qui, venant s’ajouter au fer, au cuivre, au zinc et aux autres métaux eût manifestement relevé de la chimie. D’ailleurs à cette époque, un certain nombre de chimistes restaient encore sceptiques. Après tout, ce radium était peut-être, non pas un corps simple mais un composé d’hélium et de plomb, par exemple… Fort heureusement, en 1910, Marie Curie parvint à isoler le radium sous forme métallique : un minuscule rectangle d’un blanc brillant que les saints Thomas du monde scientifique pourraient toucher du doigt. Le doute n’était plus permis et un second Nobel, celui de chimie, cette fois, s’imposait. Il lui fut attribué dès l’année suivante…

 

Henry Gidel
professeur honoraire des universités
biographe

Cf. Célébrations nationales 2003 et 2006

Source: Commemorations Collection 2011

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