Page d'histoire : Jules-Henri Poincaré Nancy, 29 avril 1854 - Paris, 17 juillet 1912

Henri Poincaré, élève à l’École polytechnique
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© collections de l’École polytechnique

La place exceptionnelle qu’occupe le mathématicien Henri Poincaré ne -saurait être mieux résumée que par la phrase introduisant la notice qui lui a été consacrée par Jean Dieudonné dans le Dictionary of Scientific Biography (1) : « Le développement des mathématiques au XIXe siècle commença à l’ombre d’un géant, Carl Friedrich Gauss, et s’acheva par la domination d’un génie de magnitude comparable, Henri Poincaré. » Ce texte se poursuit par une comparaison frappante des caractères et des œuvres de ces deux savants illustres.

Poincaré a eu une carrière bien courte assurément, mais uniformément brillante. Sa renommée internationale ne s’est pas fait attendre : la liste est longue de ses doctorats honoris causa, des académies dont il a été membre et des prix qu’il a reçus. Parmi ceux-ci, il faut citer le prix du roi Oscar II de Suède et de Norvège qui lui fut décerné en janvier 1889 pour un mémoire sur la stabilité du système solaire. Dans ce mémoire, Poincaré allait hélas découvrir une erreur dès la fin de cette même année 1889 ! Toutefois, cette mésaventure eut une suite heureuse et, en fin de compte, instructive : les efforts faits par Poincaré pour corriger l’erreur en question le conduisirent, peu après, à l’une de ses créations majeures appelée aujourd’hui la théorie des systèmes dynamiques.

On peut dire que Poincaré a été mathématicien, physicien et aussi, à certains égards, philosophe. Sa contribution aux mathématiques est certes la plus importante : elle se distingue par son abondance, sa diversité et son originalité. Plusieurs domaines particulièrement féconds de cette science ont été créés par lui ou ont leur origine dans ses travaux. Citons, entre autres, la théorie des fonctions automorphes (et plus particulièrement des fonctions qu’il appelle fuchsiennes) ; la topologie algébrique (homologie simpliciale, formule d’Euler-Poincaré, dualité de Poincaré, la célèbre et encore conjecturale caractérisation par Poincaré de la sphère à trois dimensions…) ; la géométrie non euclidienne (demi-plan de Poincaré,…) ; les équations différentielles (leur « théorie qualitative », équations avec singularités…) ; les équations aux dérivées partielles (méthode du balayage pour le problème de Dirichlet…) ; les systèmes -dynamiques déjà évoqués et la théorie du chaos ; la mécanique céleste et le problème des trois corps etc. Les meilleures encyclopédies mathématiques contemporaines mettent en évidence les innombrables notions, problèmes et théorèmes auxquels est attaché le nom de Poincaré.

En physique, la grande diversité des intérêts de Poincaré ressort déjà de la liste de ses cours à la Sorbonne, qui couvrent la plupart des domaines de la physique mathématique de son temps. Mais ses contributions à la physique vont bien plus loin. Rappelons seulement qu’il a été le premier à observer que les transformations de Lorentz forment un groupe ; c’est sans doute pourquoi il est vu par certains comme le cofondateur, avec Einstein, de la relativité restreinte, bien que Poincaré n’ait pas, semble-t-il, considéré la quadridimensionnalité de l’univers comme un fait physique majeur.

Henri Poincaré a beaucoup réfléchi et beaucoup écrit sur la nature des notions mathématiques. Il s’est aussi résolument engagé dans les débats sur la question dite « des fondements » qui a préoccupé bon nombre de mathématiciens au début du XXe siècle. Notons à ce propos que son tempérament l’a toujours incité à préférer, à la logique pure, des raisonnements fondés sur une intuition de type physique (il ne se sentait pas proche des « logisticiens » !). Aujourd’hui encore, ses ouvrages à caractère philosophique sont très lus et font l’objet de nombreux colloques et publications.

Jacques Tits
membre de l’Institut,
professeur honoraire au Collège de France

1. P. 51, vol. XI.

Source: Commemorations Collection 2004

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