Page d'histoire : La Belle Otero Valga (Galice, Espagne), 20 décembre 1868 - Nice, 10 avril 1965

Née d’une mère célibataire et d’un père inconnu, Caroline Otero connaît une enfance misérable, improvisant des pas de danse dans les rues pour survivre. Violée à onze ans, enceinte à douze, elle quitte son village avec des forains portugais, est arrêtée à Lisbonne et réussit enfin à atteindre Barcelone. Elle y retrouve un certain Paco, souteneur. Là elle se produit au Palais de cristal dans une sorte de flamenco sensuel.

En 1889, un banquier, Furtia, lui permet de gagner Paris où elle débute l’année suivante au Cirque d’été. Grande, l’air altier, chevelure et oeil noirs, elle triomphe dans le répertoire espagnol et acquiert le qualificatif de « Belle » qui lui restera. L’imprésario Jurgens l’attire à New York, lui invente une légende, fait d’elle une personnalité glamour.

Désormais lancée, Caroline devient, avec Liane de Pougy et Cléo de Mérode, l’un des symboles de la Belle Époque. En 1993, on publie ses Souvenirs. Traumatismes d’une jeunesse pitoyable, elle s’y invente un père séduisant, une petite enfance luxueuse et un bref mariage avec un comte italien. C’est l’époque de l’argent facile, des rois, des princes et des millionnaires. Caroline fascine les hommes, pour elle on se ruine et on se suicide. William Vanderbilt lui offre un hôtel particulier, quinze domestiques, une calèche et un yacht, Nicolas II un joyau de la Couronne, l’empereur du Japon une île. Le roi du Cambodge, le roi de Serbie, le Kaiser, Oscar de Suède, Georges de Grèce, Alphonse XIII, Édouard VII, Albert de Monaco lui rendent visite et la presse, ironique, la qualifie de ministre des Affaires étrangères.

On la voit au Bois, dans les restaurants à la mode, couverte de parures dont certaines ont appartenu à des impératrices. Elle assure ses chevilles pour 80 000 dollars, inaugure en 1900 un boléro couvert de pierres précieuses, porte parfois pour cinq millions de francs de bijoux. Fière de son corps, elle se fait, à Saint-Pétersbourg, apporter nue sur un plat d’argent et les coupoles du Carlton à Cannes auraient été inspirées à l’architecte par la forme de ses seins. Elle se produit en Europe, en Égypte, en Australie, est à Paris la vedette du bal Tabarin et des Folies-Bergère. Elle possède une voix peu travaillée mais pleine et sonore et, à la danse, ajoute le chant et le mime. Ainsi elle interprète, en 1901, une pièce écrite à son intention par Guillaume II et, en 1913, tient aux Variétés le rôletitre dans l’acte Ier de Carmen.

Première Guerre mondiale : le temps n’est plus à la frivolité pour les têtes couronnées ; les modes changent, Caroline a vieilli, plus de princes à ses pieds, plus d’engagements mirifiques. On pourrait la croire riche mais, possédée par le démon du jeu, elle a dilapidé des sommes fabuleuses et a dû vendre, en 1914, son boléro de pierres précieuses. À Nice elle réside d’abord dans une villa cossue et une réédition de ses Souvenirs rappelle sa mémoire.

Puis commence, pour celle qui fut l’une des reines de Paris, la descente vers la pauvreté et l’oubli. À un modeste appartement succède la chambre meublée où elle vivra vingt ans, recevant de la ville de Nice et de l’association La roue tourne de modestes secours. Mais, jusqu’à la fin, celle qui joua avec les puissants, les millions et les bijoux, garde sa dignité et s’exclame, mélancolique : « Avant, la femme savait se déshabiller, aujourd’hui elle ne fait que s’exhiber. »

Michèle Friang
historienne

Source: Commemorations Collection 2015

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