Page d'histoire : Charles de Foucauld, prêtre Strasbourg, 15 septembre 1858 - Tamanrasset, 1er décembre 1916

Il naît un an après un premier Charles décédé à l’âge d’un mois ; il connaît une enfance difficile : à l’âge de cinq ans, il perd coup sur coup sa mère, puis son père qui se trouvait depuis 15 mois en asile d’aliénés et, trois mois après, sa grand’mère paternelle, qui meurt subitement sous ses yeux. À onze ans, c’est un exilé : il quitte l’Alsace devenue allemande et ne reverra jamais Strasbourg. Enfant taciturne, il est élevé par son grand-père maternel, un colonel, veuf remarié, d’une grande bonté envers son petit-fils ; précoce, il lit énormément, fait d’excellentes études classiques.

Le métier des armes ne l’attire guère mais il entre à Saint-Cyr à dix-huit ans (1876) pour faire plaisir à son grand-père et dans l’esprit de la revanche d’après la défaite de 1870. Ses lectures, le scientisme triomphant avec Taine et Renan, l’ont poussé à quitter la foi depuis deux ans et à devenir agnostique : « Pendant 12 ans, je demeurai sans rien nier et sans rien croire ». En février 1878, à la mort de son grand-père, il hérite d’une immense fortune qu’il va dilapider (plus de 100 000 francs-or en 4 ans) en organisant des fêtes fastueuses pour ses camarades à Saint-Cyr, puis, à partir d’octobre, à l’École de cavalerie de Saumur, d’où il sort à 21 ans, 87e et dernier. Il continue sa vie de fêtes dans les villes de garnisons où il est envoyé, en France puis en Algérie ; à Sétif, il continue une vie déréglée, se rebiffe devant les remontrances, demande sa mise en disponibilité, rentre à Évian avec une jeune femme qu’il avait emmenée avec lui en Algérie. Trois mois plus tard, il apprend que son régiment est au combat dans le Sud-Oranais ; il demande d’être réintégré dans l’armée, se révèle vrai chef dans les dangers.

Il a pris goût au Maghreb et compris que sa vocation n’était pas d’être soldat mais explorateur. Il quitte l’armée, se met à l’arabe et aux sciences utiles à son projet : une expédition dans le Maroc inconnu. Sa famille, et particulièrement la soeur de son père, femme du grand banquier Moitessier, le fait doter d’un conseil juridique qui lui alloue une maigre rente mensuelle. Il poursuit sa préparation ; en juin 1883, il entre au Maroc (par Gibraltar et Tanger), accompagné d’un guide sûr ; il sillonne le Maroc pendant onze mois ; à son retour, la Société de géographie lui attribue la médaille d’or ; dans la solitude d’un appartement parisien, il écrit minutieusement la relation de son exploration ; le livre sera publié à Paris en 1888 sous le titre Reconnaissance au Maroc.

Son succès a redoré son blason aux yeux de sa tante Moitessier, forte personnalité qui tient un salon politique ; la fille de celle-ci, Marie de Bondy,  elle, a toujours soutenu son jeune cousin ; elle est, pour lui, sa « seconde mère ». Tourmenté, révolté, cet homme de 28 ans met Dieu au défi par une « étrange prière » dans les églises : « Si vous existez, faites-le moi connaître ». Il s’étonne de ce que sa cousine, une femme très intelligente, puisse croire ; et sa « bonté silencieuse » le touche ; il veut « prendre des leçons de religion », elle lui indique un vicaire de la paroisse Saint-Augustin, l’abbé Huvelin, qui l’accueille lui-même avec beaucoup d’intelligence et de bonté ; il se confesse à lui et communie un matin d’octobre 1886. Ce prêtre va, dès lors, le suivre, tempérer son impétuosité, l’inciter à rencontrer, en la personne de Jésus de Nazareth, un Dieu très humain ; le coeur de Foucauld s’attache alors radicalement à celui qu’il appellera souvent le « Bien-aimé frère et Seigneur Jésus ».

Il veut, par amour, se faire pauvre comme Jésus de Nazareth, caché et inconnu comme lui ; en janvier 1890, il entre, dans cette perspective, à la Trappe de Notre-Dame des Neiges qui l’envoie au loin, sur sa demande, dans un prieuré qu’elle a en Syrie, dans l’Empire ottoman ; très vite, cette vie ne lui paraît pas celle qu’il avait rêvée et comme il n’en voit pas d’autre qui corresponde à son idéal, il pense fonder lui-même un ordre religieux adéquat où se vivrait une imitation littérale de Jésus à Nazareth. Il quitte la Trappe en janvier 1897 pour vivre à Nazareth même où il mène pendant trois ans, domestique d’un couvent de religieuses, une existence dépouillée et où il prépare la fondation d’Ermites du Sacré-Coeur pour lesquels il écrit, en 1899, une règle méticuleuse : « Absolument impraticable », dit Huvelin. Il rentre en France en 1900 pour se faire ordonner prêtre du diocèse de Viviers. Dans sa préparation au diaconat et au sacerdoce, se fait en lui une conversion : son projet d’« ermites » vivant comme Marie et Joseph serrés autour de Jésus dans la maison de Nazareth éclate ; il veut, comme prêtre, aller porter le Christ eucharistique à ceux qui ignorent le Coeur de Dieu qui est Amour, ou le méconnaissent ; et non plus se replier hors du monde. La quête des « plus éloignés de Dieu » devient le moteur essentiel de son existence : il veut leur consacrer sa vie, aller vers eux, vivre au milieu d’eux, être pour eux un frère. Il s’installe en 1901 en Algérie, à la frontière du Maroc, attendant de pouvoir y entrer comme prêtre ; il s’attaque à l’esclavage que tolèrent les autorités françaises en Algérie.

Le Maroc lui demeurant interdit, il va vers le Sud, au coeur du Sahara, vers un peuple qui ignore la foi chrétienne, les Touaregs. Les dix dernières années de sa vie se passeront, non pas à être « ermite » comme le veut l’image d’Épinal qui a été créée à son sujet, mais à vivre au milieu d’eux, à « devenir du pays », à parler admirablement leur langue et à mener une oeuvre scientifique considérable (lexique, dictionnaire) pour sauver la culture de ce peuple d’à peine quelques dizaines de milliers d’âmes et lui donner droit de cité ; et il réagit vivement face aux exactions exercées par certains militaires ou colons.

Il ne fait aucune conversion pendant ces dix ans. Il se refuse à tout résultat immédiat, estimant qu’il s’agit d’abord et avant tout d’être simplement là, en partage vrai, cherchant seulement à mener une existence selon l’Évangile, selon ce Jésus qui a vécu à Nazareth la condition humaine dans sa banalité et sa quotidienneté. Il se définit comme « missionnaire isolé », seul, en avantgarde, faisant un travail, non pas de « semeur », encore moins de « moissonneur » : un travail de commencement, il se veut « défricheur ». Il se rend compte que, dans  l’Église, il y a très peu de « missionnaires isolés » comme lui ; il crée en 1909, une « confrérie », l’UNION, destinée à tout baptiser, que ce soit en Europe ou dans le monde ; il vient trois fois en France pour la lancer et pense y revenir après la guerre pour l’établir. À sa mort – il est pris en otage et assassiné par des razzieurs – sa « confrérie » compte 48 membres ; un millier aujourd’hui, « défricheurs évangéliques » à sa suite. L’Église catholique l’a déclaré Bienheureux le 13 novembre 2005. Il est prophète des déserts spirituels d’aujourd’hui.

Il fut d’abord et avant tout, à chaque moment de sa vie, un « explorateur », ouvrant des voies, des horizons nouveaux : l’inculturation radicale, l’évangélisation paradoxale. Tant il était dans un refus absolu de réifier « l’autre », de le voir comme un objet, que ce soit de connaissance ou de conversion.

 

Jean-François Six
fondateur du Centre national de la médiation
 

Source: Commemorations Collection 2008

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