Page d'histoire : Joseph-Nicéphore Niépce Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire), 7 mars 1765 - Saint-Loup-de-Varennes (Saône-et-Loire), 5 juillet 1833

Enfant des Lumières par excellence, Joseph Niépce naît l’année de la parution du dernier volume de texte de l’Encyclopédie.

Peut-être le futur inventeur de la photographie se déclare-t-il dans ce Nicéphore qui surgit sous sa plume en 1787, millénaire du concile de Nicée II (787) qui vit le futur patriarche de Constantinople, Nicéphore, prendre courageusement position contre l’hérésie iconoclaste.

Niépce dira avoir « travaillé à cette découverte à Cagliari », en 1797-1798.

Sa vie de clerc tonsuré enseignant au collège oratorien d’Angers, ses « courses nocturnes dans la montagne » avec la quatre-vingt-troisième demi-brigade, son passage remarqué à l’état-major de l’armée d’Italie aux côtés de Bonaparte, les heures délétères à la commission du district de Nice sous la Convention thermidorienne, tout cela appartient alors au passé.

L’avenir, pour autant que ses revenus fonciers le lui permettent, est au goût pour les sciences et techniques qu’il partage avec son frère Claude. Et à cette époque, la découverte de la photographie n’est pas prioritaire. L’idée, qui lui appartient au moins « partiellement », d’une « nouvelle machine dont le principe moteur est l’air dilaté par le feu », accapare tout son temps.

Explicitement baptisé « pyréolophore », le moteur à combustion interne est la grande affaire de leur vie. À l’étude à Nice (1795-1801) et à Milan (1798-1799), la machine va déjà « très bien » en Bourgogne en juillet 1803. Entre autres carburants, les Niépce emploient « surtout le lycopode », dont la poudre « éminemment combustible » donne des résultats spectaculaires.

« Il se présentait des difficultés dans la manière de régulariser l’action d’une force qui devait cesser et se reproduire à chaque instant », mais ils y sont parvenus. Pour Nicéphore, « l’essentiel est de donner une idée de [leur] force motrice », en propulsant un bateau par réaction directe. À Lyon, près « l’arsenal », Claude vient de mettre la dernière main au « petit navire ».

En août 1806, « le gros brutal » ayant été « essayé sur la Saône avec le plus grand succès », ils se préparent à faire le voyage de Paris.

Présentée à l’Académie des sciences le 17 novembre, soumise à l’examen de Berthollet et Lazare Carnot qui la « [voient] agir » au milieu d’« un très grand nombre de personnes » et qui constatent « la vivacité des mouvements que toutes ses parties reçoivent à chaque battement occasionné par l’ignition de dix grains seulement de combustible », la machine est approuvée par la classe des sciences mathématiques le 15 décembre ; le rapport de Carnot consignant la « découverte d’un nouveau principe moteur » inséré dans ses Mémoires.

Saluant la combinaison combustion interne/réaction directe, Berthollet relève quant à lui : « […] relativement aux effets chimiques qui produisent la force motrice dans le pyréolophore, ils consistent dans la combustion d’une substance inflammable, qui s’opère dans un volume d’air contenu, en sorte que la dilatation produite dans cet air agit sur la colonne d’eau qui lui est opposée. » Et Berthollet, qui « [connaît] les effets de la projection du lycopode dus à cette dilatation », de noter : « […] les auteurs de la machine en rendent sensibles les grands effets par un procédé ingénieux. »

Bel exemple du génie de Nicéphore, l’invention de la photographie n’est pas étrangère à celle du moteur à combustion interne : c’est en commandant de l’asphalte ou bitume de Judée à titre de carburant en janvier 1817, que Nicéphore trouve le produit photosensible qui lui a fait défaut jusqu’alors.

Passant par l’invention de la photogravure, avatar de son idée fondamentale et ressort de son aboutissement, l’invention de la photographie est consignée par Nicéphore lui-même le 16 septembre 1824. « J’ai la satisfaction de pouvoir t’annoncer enfin, écrit-il à Claude, que je suis parvenu à obtenir un point de vue tel que je pouvais le désirer. L’image des objets s’y trouve représentée avec une netteté, une fidélité étonnantes, jusque dans ses moindres détails, et avec leurs nuances les plus délicates. Comme cette contre-épreuve n’est presque pas colorée, on ne peut bien juger de l’effet qu’en regardant la pierre obliquement : c’est alors qu’il devient sensible à l’oeil, à l’aide des ombres et des reflets de lumière ; et cet effet, je puis le dire, mon cher ami, a vraiment quelque chose de magique. » Et d’autant plus magique que, vue sous cet angle, cette image historique au bitume sur pierre calcaire apparaît positive.

À cette heure, Daguerre « cherche [encore] l’impossible » ; ce n’est qu’en janvier 1826 qu’il apprend par une indiscrétion que la grande chimère s’est muée en réalité. Écrivant à l’inventeur, il lui demande s’il croit « la chose possible », mais se vante d’avoir « obtenu des résultats très étonnants ». Surpris par « une pareille incohérence d’idées » mais piqué par la curiosité, Niépce lui répond obligeamment.

Moins de trois ans plus tard, la mort de Claude et le spectre de la ruine ayant eu raison de ses derniers scrupules, il saute le pas. « Je vous propose donc, monsieur, écrit-il à Daguerre, de coopérer avec moi au perfectionnement de mes procédés héliographiques. »

Le 14 décembre 1829, conformément à l’article 3 du contrat, il lui remet la notice dans laquelle il a révélé son secret jusque dans ses derniers résultats. La reproduction de l’image prise dans la chambre noire s’opère désormais sur du plaqué d’argent. Rendue positive par exposition à des vapeurs d’iode, l’épreuve est en noir et blanc.

Dans le courrier chiffré qu’échangent les deux associés, le code convenu entre eux s’enrichit rapidement de mots nouveaux ; de mystérieuses manipulations sont évoquées ; en 1832, Daguerre parle de « [leur] découverte », Niépce de « physautotype »... quand « une attaque foudroyante d’apoplexie » le terrasse à sept heures du soir, le 5 juillet 1833.

Peu s’en faut ce jour-là que le fin mot de l’histoire suive l’inventeur dans sa tombe. De fait, le décryptage de ces précieuses « traces des travaux qui conduiront au daguerréotype » et la redécouverte du maillon manquant de sa généalogie devaient prendre un siècle et demi.

Seules la démonstration de l’héliographie (1989) et la divulgation du physautotype (1992), image héliographique qui « ressemble à s’y méprendre au daguerréotype », ont permis d’établir l’histoire avérée de l’invention de la photographie.

Manuel Bonnet
descendant de Joseph-Nicéphore Niépce
chargé de mission, Maison Nicéphore-Niépce

Source: Commemorations Collection 2015

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