Page d'histoire : Création de la Ligue de l'enseignement par Jean Macé Octobre-novembre 1866

Monument de Beblenheim
(Haut-Rhin), Jean Macé et les « demoiselles » du pensionnat.
© Ville de Beblenheim / photo Yannick Deshogues, 1994

Le 25 octobre et le 15 novembre 1866 Jean Macé lance, depuis Beblenheim en Alsace, où il s’est réfugié après le coup d’État de 1851, deux appels dans L’Opinion nationale pour créer une Ligue de l’enseignement en France, à l’imitation d’un mouvement qui existe déjà en Belgique. La libéralisation du Second Empire permet un premier essor, à partir de souscripteurs et de cercles locaux dont le premier est fondé à Metz, avant celui de Paris. La perte de l’Alsace-Lorraine en 1871 conduit à l’abandon du berceau originel, mais aussi à une forte relance des activités avec l’organisation d’une grande pétition en faveur de l’école obligatoire, gratuite et laïque (1871-1872) qui, recueillant plus d’un million de signatures, ouvre la voie aux lois Ferry.

Dès lors les destins de la Ligue et de la République sont étroitement liés. Après le temps des persécutions sous l’ordre moral, la Ligue s’organise dès 1881, lors d’un premier congrès qui établit un lien fédératif national, précédant l’organisation des syndicats et des partis. Corps intermédiaire de l’idée républicaine, la Ligue trouve à l’extrême fin du siècle sa place dans l’espace social : ce sera « à côté de l’école », en promouvant le « post » et le « péri » scolaire, comme un espace de protection de l’école publique, destiné à prolonger les bien faits de celle-ci sur les jeunes gens et les jeunes filles qui en sont issus. Elle orga nise aussi des activités éducatives pour les adultes comme pour les enfants. Liée à la franc-maçonnerie, sans être une création maçonnique, et au monde politique républicain, toutes tendances confondues, elle participe aux grandes batailles anticléricales qui établissent la laïcité française. Au tournant des XIXe et XXe siècles, elle est présidée notamment par Léon Bourgeois, le père du solidarisme, et par Ferdinand Buisson, l’ancien directeur de l’Enseignement primaire nommé par Ferry, devenu conscience morale de l’école laïque.

Après la guerre de 1914-1918, elle se reconstitue sous la forme d’une « Confédé ration générale des oeuvres laïques », organisée en « fédérations d’oeuvres laïques » départementales (les FOL) et en secteurs techniques, les UFO (Unions fran çaises des oeuvres laïques) : UFOLEP (secteur sportif), UFOLEA (activités artistiques), UFOCEL (cinéma), UFOVAL (colonies de vacances). Après 1945, cette liste est complétée notamment par les centres laïques de la lecture publique et du tourisme culturel. D’autres mouvements d’éducation populaire laïques ont des liens étroits avec elle, comme le Centre laïque des auberges de jeunesse (1934), les CEMEA (1937), les Francs et Franches Camarades (1944), etc. La période du Front populaire est un grand moment pour la promotion du sec teur, avec l’appui de Léo Lagrange, secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs et du ministre Jean Zay. Avec la guerre et l’Occupation vient le temps de la persé cution et de la dissolution de la Ligue. Elle renaît à la Libération, lors que le général de Gaulle proclame en 1945 : « Honneur à la Ligue de l’enseignement ! », devant Albert Bayet qui préside le mouvement jusqu’en 1959.

À partir des années 1950-1960, la Ligue doit s’adapter à un environnement qui change. Les activités éducatives peuvent de moins en moins se borner au périscolaire dans une France qui s’urbanise et s’installe dans la société des loisirs de masse. Avec la loi Debré qui finance les écoles confessionnelles, les laïques connaissent une défaite majeure qu’ils ne parviendront jamais à effacer, ce que confirme l’échec de la loi Savary en 1984. Pour sortir du bourbier de la guerre scolaire, la Ligue relance alors la dynamique de la laïcité sur des bases neuves et élargies. Association ancrée dans la société civile où elle dialogue avec d’autres courants, elle fait de la laïcité un enjeu global du « vivre ensemble », s’efforçant de présenter celle-ci comme une ressource indispensable pour « faire société », dans une France et plus largement dans une Europe  définitivement gagnée à la diversité culturelle et religieuse.

La Ligue reste la première organisation française de culture populaire, comptant près de 30 000 associations, réparties en 102 fédérations départementales, et plus de 1 500 000 adhérents (dont 40 % de moins de dix-huit ans). Elle agit dans les domaines de l’éducation/formation, de la culture (spectacle vivant, cinéma, lecture/écriture), du sport, des vacances. Elle est aussi un laboratoire d’idées et une entreprise de l’économie sociale et solidaire, comptant plus de 18 000 salariés, gestionnaire d’établissements très divers (centres de vacances, secteur médico-social…).

 

Jean-Paul Martin
ancien maître de conférences
historien de la laïcité et de la Ligue de l’enseignement
Groupe Sociétés Religions Laïcités (GSRL)

 


Source: Commemorations Collection 2016

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