Page d'histoire : Jean Berain Saint-Mihiel (Meuse), 4 juin 1640 – Paris, 24 janvier 1711

Décoration de la poupe du vaisseau Le Soleil Royal
Aquarelle, encre de Chine, plume (dessin), rehauts d’or
Paris, Musée du Louvre
© RMN / Madeleine Coursaget

Berain, dont le nom est aujourd’hui associé aux décors des faïences de Moustiers, peut être considéré comme l’un des artistes les plus originaux du règne de Louis XIV. Il s’illustra dans tant de domaines différents qu’il fut qualifié de son vivant de « génie universel ».

Sa carrière débuta dans le milieu artisanal de sa famille, celui des maîtres arquebusiers lorrains, où il apprit le dessin et la gravure. En 1659, il publia un recueil d’ornements pour les armes, Diverses pièces très utiles pour les Arquebuzières, qui connut un tel succès qu’il fut plusieurs fois réédité jusqu’en 1667. Ses qualités lui valurent d’entrer vers 1670 au Cabinet des planches gravées du roi, avant de diffuser par l’estampe la décoration de la galerie d’Apollon du Louvre et de bénéficier de la protection de son auteur, le premier peintre du roi, Charles Le Brun.

Désormais, les portes de la cour lui furent ouvertes : après avoir apporté son concours aux prestigieuses fêtes données à Versailles pour célébrer la conquête de la Franche-Comté, il devint dessinateur de la Chambre et du Cabinet de Louis XIV. Cette charge lui permit de fournir toutes sortes de modèles pour des costumes d’opéras, de mascarades et de cérémonies, des illuminations, des pompes funèbres et le mobilier de la Couronne. Sa réputation le conduisit également à être désigné dès 1680 pour concevoir les décors et les machines du théâtre lyrique parisien, l’Académie royale de musique, avant de créer les luxueuses parures du Carrousel des galants maures et de celui d’Alexandre et Thalestris, organisés à Versailles en 1685 et l’année suivante, en l’honneur du Dauphin.

L’activité qu’il exerça pour ces divertissements équestres devait lui procurer des commandes variées de la part d’une nombreuse clientèle : les Condés et les Conti pour des fêtes, des services commémoratifs, des plafonds, une chaise à porteurs, le maréchal de La Feuillade pour les fanaux chargés d’éclairer la statue de Louis XIV, place des Victoires, le marquis de Mailly-Nesles pour le décor intérieur de son hôtel parisien (aujourd’hui la Documentation française, quai Voltaire). Le marquis de Seignelay, qui le nomma dès 1687 dessinateur des vaisseaux du roi, le sollicita également pour des illuminations, la salle à manger du château de Sceaux et les tapisseries des Attributs de la marine (Paris, Musée du Louvre). En 1697, il donna encore les modèles d’une tenture célèbre, Les Triomphes marins (Paris, Banque de France), destinée au comte de Toulouse, amiral de France, et ceux du buffet d’orgue de la basilique de Saint-Quentin.

La réputation de l’artiste ne tarda pas à franchir les frontières du royaume : Berain exerça ses talents vers 1685 pour Christian V de Danemark, puis, entre 1693 et 1699 pour la cour de Suède, où plusieurs de ses projets furent réalisés, notamment celui d’un superbe vaisseau, La Victoire, et celui du décor d’un carrosse d’apparat aujourd’hui conservé au Livrustkammaren de Stockholm.

Même si le goût qu’il avait mis à la mode commença à décliner en France dès la fin du XVIIe siècle, son influence demeura considérable. Dans le domaine du décor intérieur, il annonça l’esthétique qui s’épanouit à partir de la Régence : il adopta pour les plafonds de vastes surfaces aux couleurs lumineuses blanche et or, propagea les cheminées « à la royale », garnies de miroirs aux contours animés et apporta aux premières commodes « en sarcophage » des galbes harmonieux. Tout en préparant l’avènement, à l’époque rocaille, des grandes pompes funèbres des frères Slodtz, il sut créer un style original qui porte son nom et qu’il illustra de manière magistrale dans ses « grotesques » : ces compositions décoratives d’origine antique, auxquelles il accorda équilibre et élégance, à côté d’une certaine fantaisie caractérisée par des « singeries », allaient inspirer plusieurs générations de liciers, d’ébénistes et de faïenciers.

Jérôme de La Gorce
directeur de recherche au CNRS

Source: Commemorations Collection 2011

Personnes :

La Gorce, Jérôme de

Thèmes :

Arts plastiques

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