Page d'histoire : Dom Pérignon Sainte-Ménehould (Marne), 5 janvier 1639 - Hautvillers (Marne), 14 septembre 1715

Né quatre mois après Louis XIV et mort treize jours après lui, Pierre Pérignon est issu d’une famille de petits officiers de justice des confins de la Champagne et de la Lorraine. Après des études chez les Jésuites à Châlons-en-Champagne, il entre chez les Bénédictins en 1657 au monastère Saint-Vanne de Verdun, maison mère d’une congrégation bénédictine depuis 1604. Après sa formation à Notre-Dame de Breuil, près de Commercy, puis à Saint-Vanne, il est envoyé en mai 1668 au monastère Saint-Pierre d’Hautvillers. Vénérable établissement bénédictin fondé en 662, au coeur de la vallée de la Marne, doté d’un énorme patrimoine foncier en vignes, terres et forêts, il appartenait depuis 1635 à la congrégation, qui le restaura activement.

Dom Pérignon n’a laissé aucun écrit. C’est par sa signature sur des comptes et des actes notariés que l’on parvient à reconstituer la trame de sa vie et de ses actions. Contrairement à l’usage de la congrégation qui déplaçait régulièrement ses moines, il resta toute sa vie dans l’abbaye d’Hautvillers, occupant les fonctions de procureur et de cellérier. Il était responsable de la gestion des vignes et des vins, apprenant « sur le tas » la culture de la vigne.

A-t-il inventé le vin mousseux ? Aucun document ne permet de le soutenir. Seul un compte de 1691-1692 mentionne des vins – qui ne sont pas dits mousseux – à mettre en bouteilles pour leur expédition. Quand la ville d’Épernay dans les années 1690 ou le courtier Adam Bertin Du Rocheret dans les années 1710 achetaient des vins du père Pérignon, ils n’étaient pas non plus dits mousseux. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1711, à la fin de la vie du procureur, qu’est mentionné pour la première fois ce type de vin.

Pourtant, le religieux a joué un rôle dans la mutation vinicole de son temps. Cherchant à produire des vins plus stables, capables de se soutenir au-delà d’un an pour des acheteurs aristocratiques ne goûtant depuis les années 1670 que le champagne et le bourgogne, il a, comme d’autres propriétaires des environs d’Épernay, modifié la fabrication des vins. L’un de ses successeurs du milieu du XVIIIe siècle, le frère Pierre, a vanté les soins qu’il apportait aux vendanges. Il goûtait d’abord les raisins dans leur maturité, afin de déterminer le moment optimal de la vendange. Il élaborait alors des assemblages entre les crus et même les parcelles. Désirant produire des vins blancs, il faisait vendanger de l’aube jusqu’à dix heures du matin, pour éviter de trop foncer le jus. L’abbaye possédant des pressoirs près des vignes, il lui était possible d’y faire mener très vite les raisins afin de tirer des pinots noirs leur précieux jus blanc. Ses successeurs en ont encore fait l’un des pionniers du soutirage répété des vins, afin d’en éliminer la lie et de les rendre plus limpides. Mais de secret pour faire mousser les vins, persnne n’en a jamais parlé avant 1821.

Pris parfois pour un nom de cru, le père Pérignon était bien connu des amateurs. Ayant appris sa mort, le maréchal de Montesquiou s’empressa de commander du vin à Bertin Du Rocheret : « Je voudrais bien que vous eussiez pensé à moi sur les premiers vins de cette abbaye, car franchement, ce sont les meilleurs. »

Benoît Musset
maître de conférences en histoire moderne
université du Maine

Source: Commemorations Collection 2015

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