Page d'histoire : Début des recherches du CNRS sur l'énergie solaire dans les Pyrénées-Orientales 1960


Photographie du chantier du four solaire d’Odeillo au début des années 60
© CNRS

L’histoire de l’énergie solaire est à la fois une histoire grandiose et un chemin semé d’embûches, de contestations... et de reprises flamboyantes. Dans ce contexte l’histoire du grand four solaire d’Odeillo-Font Romeu, conçu par Félix Trombe dans le cadre du CNRS et inauguré il y a exactement quarante ans, en 1970, constitue une étape décisive.

Le grand four d’Odeillo est en effet le premier pas, au niveau planétaire, qui ait été fait vers une exploitation à grande échelle de l’énergie du soleil à des fins industrielles ou énergétiques. Toutes les expériences qui l’ont précédé sont restées de tailles modestes. À ce titre, le grand four solaire d’Odeillo a joué un rôle décisif dans la décision du CNRS, en 1974, de se doter d’un programme interdisciplinaire sur l’énergie solaire, sous l’impulsion de Robert Chabbal alors Directeur de la Physique au CNRS. L’existence d’un « grand instrument » comparable aux grands accélérateurs de particules, aux expérimentations spatiales de l’époque, est ce qui a tracé le chemin vers des réalisations ambitieuses et en particulier vers l’émergence des « centrales solaires » dont la centrale « THEMIS » sera le premier exemple. Les travaux pionniers de Félix Trombe relatifs au four d’Odeillo constituent le socle de toutes les expériences ultérieures de captation de l’énergie solaire concentrée à grande échelle qui se développent aujourd’hui rapidement de par le monde.

Si le grand four solaire a joué un tel rôle, c’est également parce qu’il représente une incontestable prouesse technique autant qu’un accomplissement esthétique et architectural. La réalisation qui a été inaugurée sur le site d’Odeillo en 1970 par le CNRS est en effet un emblème de l’énergie solaire, connu du monde entier pour sa splendeur et l’émotion qu’il suscite autant en photographie que pour un visiteur qui le voit pour la première fois. Le fait que cette réalisation soit également, à son époque, l’un des endroits où il est possible de réaliser des expérimentations sur les matériaux à des températures extrêmes (supérieures à 3 000 °C) comme par exemple sur les matériaux destinés à l’industrie spatiale, le fait encore qu’elle illustre de manière visible la puissance remarquable du soleil, lui confèrent le statut d’un véritable monument. Pourtant, il ne faudrait pas croire que l’aventure du solaire « sous concentration » soit une aventure sans… nuages. Cette aventure a suscité nombre de doutes et de contestations qu’il a fallu vaincre à plusieurs reprises. L’opiniâtreté des chercheurs qui ont cru en l’énergie solaire, comme Félix Trombe et Robert Chabbal au CNRS, a permis de venir à bout des difficultés.

Le caractère ancien des connaissances théoriques relatives à la concentration de l’énergie solaire, le relatif gigantisme des infrastructures nécessaires à sa mise en œuvre, ont joué d’une certaine manière contre le déploiement des technologies qui impliquent le « solaire sous concentration ». Les années 1960-70 se sont en effet illustrées à la fois par la miniaturisation des composants électroniques d’une part, et la mise en œuvre de sources d’énergie extraordinairement compactes comme les centrales nucléaires d’autre part. Ces technologies ont fait apparaître un temps les développements autour de l’énergie solaire concentrée comme des technologies un peu « XIXe siècle », un peu « rétro », un peu « Jules Verne ». Rien de plus faux pourtant que ces impressions. Certes, l’idée de concentrer les rayons du soleil pour des fins humaines est très ancienne. Elle remonte, nous dit la légende, à Archimède qui aurait ainsi défait la flotte romaine assiégeant Syracuse. Cette légende est contestée. Toutefois, elle émane d’Anthémius de Tralles, constructeur de Sainte-Sophie vers le début du VIe siècle, mathématicien passionné par les « coniques » et très certainement l’un des inventeurs des miroirs paraboliques. Ce sont ces types de miroirs permettant de concentrer les rayons solaires et en particulier la mise en évidence par Anthémius de la notion de « foyer » comme point singulier des « miroirs ardents » qui sont à la base de la concentration de l’énergie solaire telle qu’elle s’applique au four d’Odeillo.

De cette histoire résulte un certain paradoxe. Alors que les propriétés optiques et physiques de grands miroirs paraboliques sont connues depuis plus de dix ou quinze siècles, comment se fait-il qu’il ait fallu attendre 1970 pour les mettre en pratique et la fin des années 1970 pour qu’elles soient acceptées comme une source d’énergie potentielle à grande échelle ? Notre attitude vis-à-vis de l’énergie n’est pas toujours rationnelle. La foi sans faille dans un progrès qui permettrait de tout miniaturiser, même les centrales électriques, a joué contre l’énergie solaire qui réclame finalement des technologies assez classiques mais des surfaces importantes. On espérait une émergence rapide dans le domaine de la photoélectricité qui aurait rendu caduques les formes de captation de l’énergie solaire sous concentration. Pourtant, les progrès n’ont été qu’incrémentaux dans le domaine des cellules solaires et la plupart d’entre elles sont encore produites aujourd’hui à partir des mêmes matériaux et selon des technologies assez peu différentes de celles que l’on utilisait dans les années 1960. D’où le regain de l’intérêt pour les centrales solaires dont le grand four d’Odeillo s’est trouvé être en un sens le prototype. Les surfaces nécessaires pour produire des quantités importantes d’énergie ne sont nullement rédhibitoires et il est aujourd’hui certain que toutes les formes d’énergies dérivées des grands flux naturels (éolien, énergies marines, solaire...) sont appelées à jouer un rôle important dans nos futurs bilans énergétiques. Pour les centrales solaires, il apparaît clairement que l’ensemble des déserts terrestres (du sud des USA, d’Australie, d’Afrique du Nord, de Chine et d’Inde...) présentent des superficies très supérieures (d’au moins un ordre de grandeur) à celles qu’il faudrait pour alimenter l’ensemble de l’espèce humaine en énergie.

Le fait que la captation des énergies « naturelles » de « flux » occupe autant d’espace est le reflet de ce qu’elles se substituent à un capital accumulé par la nature durant des millions d’années (toutes les énergies fossiles). Mais nous ne pouvons continuer à déverser sans risque dans le milieu extérieur les résidus de l’exploitation des énergies fossiles sans perturber tous les grands milieux terrestres. Le déversement dans l’atmosphère des gaz qui résultent de la combustion du charbon et des hydrocarbures fossiles est à l’origine du changement climatique. D’où la nécessité de nous réinsérer dans les flux naturels grâce aux diverses valorisations de l’énergie solaire.

 

Pierre Matarasso
directeur scientifique adjoint
Institut Écologie et Environnement CNRS

Source: Commemorations Collection 2010

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