Page d'histoire : Denis Papin Chitenay (près de Blois), 22 août 1642 - Londres, vers 1712

Machine élévatoire à vapeur de Papin, modèle Paris, musée des Arts et Métiers
© Musée des arts et métirs-Cnam, Paris / photo J.-C. Wetzel

Aisément crédité en France de l’invention de la machine à vapeur qui a inauguré un nouveau système technique qui fera la révolution industrielle d’abord en Angleterre, la figure de Denis Papin* est devenue celle d’un héros romantique. C’est qu’il a dû fuir son pays en raison de la révocation de l’édit de Nantes ; un professorat de mathématiques à l’université de Marburg ne suffisait pas à nourrir ses nombreux enfants ; l’innovation technique n’intéressait pas vraiment. Papin est mort dans la misère à Londres, avant 1714, et la date de 1712 est couramment acceptée. Des rivaux sont venus revendiquer l’invention non encore matérialisée par une machine, que ce soit l’Anglais Thomas Newcomen (de plus de vingt ans son cadet), ou l’autre Anglais Thomas Savery (de huit ans son cadet).

S’il a inventé la « marmite », qu’il appelait le « digesteur », d’avoir ainsi préfiguré la future cocotte minute et la soupape de sûreté, ne lui attira pas la gloire. Mais il est le premier à avoir publié, en 1707, sur une chaudière avec piston pour servir de pompe à eau en utilisant l’expansion de la vapeur et la condensation créant un vide, même si elle est issue de la machine de Savery à deux soupapes. Papin avait eu l’idée du piston dès 1690, et la machine que Newcomen mit au point en 1712 en provient. On est cependant loin encore des inventions de James Watt avec le double effet du piston. Les historiens de la technique, en retraçant l’histoire de la machine à vapeur, ont pu localiser le rôle non négligeable de Papin, et montré une connivence de travaux, qui reflète l’esprit d’une époque au tournant de deux siècles.

Les aléas de sa carrière ont révélé un aspect, fort intéressant pour qui s’intéresse aux moteurs du progrès : l’association de Papin aux académies naissantes des sciences fait sensation, d’autant que le réseau créé est déjà européen. Car le Hollandais et calviniste Christian Huygens, chargé d’établir un modus operandi de l’Académie des sciences voulue par Colbert à Paris, s’associa comme préparateur Papin qui n’était qu’un tout jeune diplômé de médecine de l’université d’Angers. Huygens l’envoya à Londres à la Royal Society, et il eut le poste salarié de responsable des expérimentations, avant de rater le poste de secrétaire qui échut à Edmond Halley, un savant proche de Newton. Voilà Papin à Venise à l’Académie de Sarotti, puis à Kassel à la cour de Hesse. Il correspond sur les machines avec Leibniz, responsable d’une académie à Berlin. Dans la revue Acta Euruditorum, célèbre pour les publications de Leibniz sur le calcul différentiel et intégral, Papin fait paraître l’article de 1707 où il présente sa machine (Ars nova ad aquam ignis…). Autrement dit, et contrairement à ce qui fut souvent affirmé, le nouveau régime de la science dans les académies n’avait pas les réticences de la théorie envers la technique. S’il fallait attribuer ce régime à l’esprit protestant, comment en expliquer la lenteur du développement même en Angleterre ? Denis Papin interroge tous ceux qui veulent rendre simplistes les voies du progrès, et nous interroge aussi à l’heure où nos sociétés désespèrent de ce progrès.

 

Jean Dhombres
Centre Koyré,
École des hautes études en sciences sociales

 

Voir Célébrations nationales 2007

Source: Commemorations Collection 2012

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