Page d'histoire : Sortie de Jules et Jim de François Truffaut janvier 1962

Photographie d’une scène de Jules et Jim, avec Henri Serre, Oscar Werner et Jeanne Moreau
Collection Cinémathèque française
© Collection Cinémathèque française

En mars 1961, alors qu’il prépare son troisième long-métrage, François Truffaut* écrit à une amie américaine : « J’ai un trac absolument effroyable en ce moment. Il entre sûrement là-dedans de l’orgueil, de la vanité, de l’arrivisme et je ne sais encore quoi d’infamant mais d’irrésistible aussi : je désire pour Jules et Jim un succès le plus complet possible. » Cela fait alors près de cinq ans que Truffaut a découvert, à la librairie Delamain, à côté du Palais-Royal, le premier roman de Henri-Pierre Roché, illustre inconnu déjà âgé de 76 ans. Entre l’apprenti cinéaste de 25 ans et le vieux dilettante naît une grande complicité. « L’un des plus beaux romans que je connaisse est Jules et Jim, écrit immédiatement le cadet dans un article des Cahiers du cinéma, qui nous montre, sur toute une vie, deux amis et leur compagne commune, s’aimer d’amour tendre et sans presque de heurts grâce à une morale esthétique et neuve sans cesse reconsidérée. » Ce roman paru chez Gallimard raconte, sur un ton et avec un esprit si singuliers, les amours de deux hommes, français et allemand, pour une belle femme libre, Helen Hessel. Truffaut pense très vite en proposer une adaptation au cinéma et l’écrit pour Jeanne Moreau, qu’il vient de rencontrer au festival de Cannes. Roché aura le temps de lire et de reprendre une première version du scénario de Jules et Jim, rencontre même Jeanne Moreau, mais meurt le 9 avril 1959 avant d’avoir pu voir le film tiré de son roman.

Si Truffaut est angoissé au printemps 1961, alors qu’il va commencer le tournage de Jules et Jim, c’est que sa situation est préoccupante : les Films du Carrosse, sa petite société de production, ont perdu de l’argent avec son second film, Tirez sur le pianiste, grave échec commercial. La Nouvelle Vague, plus généralement, est entrée en phase de reflux sévère. La plupart des jeunes cinéastes qui ont commencé à tourner entre 1959 et 1961 ne pourront pas poursuivre leur carrière. Jules et Jim représente donc pour Truffaut une manière de survivre à la vague.

Il y parvient par ce film conçu comme « un pur amour à trois », sur une situation qui pourrait pourtant paraître graveleuse, en dirigeant trois comédiens en état de grâce. Jeanne Moreau, rieuse et grave dans le rôle de Catherine, est entourée par Henri Serre et l’Autrichien Oskar Werner : le premier joue le Français élégant et dandy, Jim ; le second l’Allemand passionné et tolérant, Jules, les deux amants de cette femme souveraine de la Belle Époque. Soixante années plus tard, cette situation reste scandaleuse pour certains, et le film de Truffaut est interdit par la commission de censure aux moins de 18 ans. C’est là ne pas comprendre la tonalité d’un film qui, jamais vulgaire, oscille entre la joie de vivre – sa chanson célèbre, Le Tourbillon de la vie, chantée au coin du feu par Jeanne Moreau accompagnée par l’auteur, Rezvani – et une retenue dramatique impressionnante, émouvante, apportée par exemple par la voix off, très littéraire, qui narre continûment l’œuvre avec les mots même de Roché. La Nouvelle Vague trouve avec Jules et Jim l’un de ses accomplissements les plus aboutis. Sorti le 24 janvier 1962, le film tient l’affiche près de trois mois, attirant plus de 250 000 spectateurs : François Truffaut est sauvé.

Antoine de Baecque
professeur d’histoire du cinéma
à l’université de Paris Ouest Nanterre

Voir aussi  Célébrations nationales 2004

Pour aller plus loin

Source: Commemorations Collection 2012

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