Page d'histoire : La crise du parti communiste français Juin - novembre 1956

Maurice Thorez et Marcel Cachin à la fête de l’Humanité, 1955
Bobigny, archives départementales
de la Seine-Saint-Denis
© Archives de l’Humanité – Mémoires d’Humanité

1956 est une année importante dans l’histoire intérieure de la France, notamment parce qu’elle ébranle la puissance du « parti de Maurice Thorez ». Depuis qu’au printemps de 1934 Staline avait découvert que l’ennemi le plus dangereux pour le communisme de l’URSS n’était pas la pauvre France de Poincaré et d’Edouard Herriot mais l’Allemagne d’Hitler, le PCF avait reçu pour rôle d’appuyer le patriotisme français, allié potentiel de la Russie, et pour cela de réintégrer la Nation. Cette politique eut un immense succès populaire, qui valut au PCF une croissance en effectif, en électorat, des influences de toutes sortes et fit de lui un acteur de tout premier ordre aux temps du Front populaire, de l’Occupation et de la Résistance, de la Libération et encore (défensivement cette fois) au temps des débuts de la « guerre froide ». Puissance énorme (peut-être 500.000 adhérents, 25% des voix aux élections, contrôle total de la CGT, etc.), consolidée par une discipline de fer et une cohésion morale redoutable, consistant en fait en une véritable dévotion aux dirigeants, Staline le premier d’entre eux, et Thorez pour la France. C’est ce système qui est contesté de diverses façons, en 1956, du dehors et du dedans, ce qui justifie que l’on fixe à cette date son entrée dans une phase durable de lent affaiblissement.

Du dedans d’abord. La mort de Staline (9 mars 1953) inquiète et Khrouchtchev tarde à devenir un leader incontesté. C’est chose faite en février 1956, au XXe congrès du PCUS, où son rapport de secrétaire général reconnaît qu’il y a eu des fautes dans la politique de Staline.

Puis survient la publication dans la presse internationale (en France, Le Monde du 4 juin) d’un autre rapport, initialement secret, reconnaissant et dénonçant des « crimes ». Le PCF le mit en doute (« rapport attribué à K. ») mais le tabou de l’admirable perfection du régime et des dirigeants du « pays du socialisme » était bel et bien rompu.

C’est le début d’une ère de contestations internes, notamment de la part des intellectuels, qui ne cessera plus, sinon par la série longuement échelonnée de l’exclusion ou de la démission des contestataires. D’autant que – quand une brèche est ouverte elle ne peut que s’élargir la contestation ou la discussion ne s’en prennent plus seulement aux outrances sectaires de la propagande ou de la discipline mais aussi à des actes relevant de la politique générale elle-même en cours de changement (1). C’est dans le même semestre que le parti décide de maintenir son soutien au gouvernement SFIO (Guy Mollet), refusant ainsi de prendre clairement parti pour la révolte nationale des Algériens, ce que bien des militants eussent trouvé plus conforme aux principes révolutionnaires.

Ceci nous amène vers l’extérieur. L’Algérie en révolte donc, ce qui mènera la France au fiasco de Suez. Mais aussi réactions antistaliniennes en Europe dans les démocraties populaires (Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie…). Khrouchtchev, auteur d’une esquisse de libéralisation en URSS, ne peut accepter en Europe centrale des libéralisations qui aboutiraient, de fait, au rétrécissement de l’Empire soviétique. Là il joue la résistance, et c’est l’intervention meurtrière de l’armée rouge qui rétablit le communisme à Budapest.

Quand Khrouchtchev, qui leur était suspect, redevient un brutal stalinien, les staliniens français redeviennent khrouchtcheviens : ils approuvent l’entrée des chars russes dans la capitale hongroise. Et c’est la deuxième date historique de cette extraordinaire année 1956. L’opinion publique française, toujours majoritairement hostile au communisme, s’indigne avec colère à la fois contre l’URSS et contre la direction du PCF ; survient le 7 novembre une véritable émeute au centre de Paris pour attaquer et tenter de détruire le siège de L’Humanité et celui du comité central. Il y a plusieurs morts. Il en reste une trace marquante de topographie symbolique : le siège du comité central était au 44, rue Le Peletier, sur le carrefour dit de Châteaudun (en souvenir de la ville martyrisée par les Prussiens en 1871). Châteaudun devient le carrefour Kossuth (1848, la Hongrie et la Liberté) à la suite d’une décision du conseil de Paris. Le PCF vit diversement ce choc. Beaucoup d’intellectuels quittent alors le parti avec colère, d’autres ont plutôt tendance à rester et serrer les rangs devant ce qui paraît être une menace d’hostilité fascisante. Mais il est sûr qu’une date de spectaculaire importance est franchie.

Quant à Maurice Thorez, vrai symbole du long demi-siècle écoulé, il survit jusqu’en 1964, mais l’ébranlement de sa santé interférant avec celle, bien réelle, du système de direction et aussi avec la confusion politique de l’époque a déjà mis un terme à son « règne ».

 

Maurice Agulhon
professeur honoraire au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales

 (1) Voir l'article de Georgette Elgey

Source: Commemorations Collection 2006

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