Page d'histoire : Thomas Corneille Rouen, 20 août 1625 - Les Andelys, 8 décembre 1709

Thomas Corneille, dramaturge, d’après Jean Jouvenet
Huile sur toile, 1685
Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN

« Bon à tout, bon à rien », est-on tenté de penser en considérant l’extraordinaire variété des œuvres de Thomas Corneille et l’obscurité où elles sont à peu près toutes tombées.

De dix-neuf ans cadet de l’auteur du Cid, affectueusement formé par lui, il se maria avec une sœur de l’épouse de son frère, et les deux hommes, ainsi que plusieurs anecdotes l’attestent, paraissent, jusqu’à la mort de Pierre en 1684, étroitement unis.

Thomas n’écrivit que peu de poésies, ne laissa son nom à aucun roman ni à aucun essai ; il se consacra donc presque entièrement au théâtre.

Il y débuta en 1647 avec Les Engagements du hasard, que suivirent d’autres comédies inspirées du théâtre espagnol – la voie que son frère lui avait indiquée avec Le Menteur, La Suite du Menteur, et même Héraclius. Ce furent Le feint astrologue (1648), Don Bertrand de Cigarral (1650), L’Amour à la mode (1651), Le Geôlier de soi-même (1655), enfin Les illustres ennemis (1656).

C’est alors qu’il se tourna vers la tragédie. Suivant souplement toutes les tendances du goût dominant, il donna des tragédies galantes, romanesques, qu’on peut dire précieuses, tels Timocrate en 1656, tiré de la Cléopâtre de La Calprenède et, l’année suivante, Bérénice, inspirée d’un épisode du Grand Cyrus. Au temps où Pierre Corneille renonçait aux grâces et aux surprises qui avaient orné Œdipe et La Toison d’or pour revenir à la grande tragédie emplie de confrontations et d’analyses politiques, Thomas composa dans le même genre Stilicon (1660), Camma (1661), Pyrrhus roi d’Épire (1661), La Mort d’Annibal (1669). Puis devançant Racine (au lieu de le suivre, comme on le pourrait supposer), il se tourna vers la mythologie grecque avec Ariane (1672), qui annonce Phèdre ; et après la mort de Molière, il adapta Dom Juan, ainsi que le lui suggéra Armande Béjart, et sut avec une extraordinaire virtuosité versifier la pièce de Molière en y restant presque toujours fidèle. Il n’a d’ailleurs pas édulcoré, autant qu’on l’a dit, le Dom Juan de son devancier ; son Festin de Pierre n’est nullement une œuvre de cagot, mais est empli d’une verve délicieuse, et on a joué la comédie de Thomas Corneille jusqu’en 1847, date à laquelle on jugea préférable de reprendre celle de Molière.

Il s’associa en 1681 avec Donneau de Visé, qu’on peut dire le père du journalisme en France, pour diriger avec lui le Mercure galant, la gazette à la mode, qui était également, avec les interventions régulières de Fontenelle, le truchement de ceux qui se voulaient « modernes » et combattaient Boileau et les siens. Toujours associé avec Donneau, il écrivit diverses pièces : Circé (1675), La Devineresse (1679), et aussi La Pierre philosophale (1681) et Les Dames vengées, auxquelles Fontenelle mit la main, et c’est avec son neveu qu’il composa deux opéras, Psyché (1678) et Bellérophon (1679).

Dans l’ensemble, cette œuvre si variée recueillit un succès régulier. Certaines pièces de Thomas Corneille – tels Timocrate, Stilicon, Ariane, Le comte d’Essex – furent parmi les plus éclatants triomphes du siècle.

Élu à l’Académie française en 1684 au fauteuil qu’occupait son frère, défenseur fidèle et plus ou moins discret du clan et de l’esthétique des « modernes », dont Fontenelle donnait alors la plus brillante image, il se tourna en vieillissant vers de plus savantes études, publiant en 1687 une édition annotée des Remarques sur la langue française de Vaugelas, en 1694, un Dictionnaire des arts et des sciences (que l’on peut regarder comme une première ébauche de la grande Encyclopédie de Diderot) et enfin en 1708 un Dictionnaire universel géographique et historique.

A-t-il payé trop cher sa facilité, nous pouvons dire sa virtuosité ? En fait, il semble être quelque peu réhabilité en notre temps, et plusieurs de ses pièces ont été rééditées récemment. On peut se rappeler que Voltaire jugeait que sa langue avait « plus de pureté » que celle de son illustre aîné et qu’enfin « c’était un homme d’un très grand mérite et d’une vaste littérature ».

En tout cas, à mi-chemin de Pierre Corneille, son frère, et de Fontenelle, son neveu, il incarne admirablement la profonde mutation du goût du public et de la situation de l’homme de lettres entre 1650 et 1700. On commence tout près de Rotrou et de Malherbe, on finit non loin de Marivaux, de La Motte, et même de Voltaire…

 


Alain Niderst
professeur honoraire de l’université de Rouen

 

Source: Commemorations Collection 2009

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