Page d'histoire : Charles-Valentin Alkan Paris, le 30 novembre 1813 - Paris, le 29 mars 1888

Tout chez le musicien - la dualité faite homme - est singularité, gageure, défi.

Né et mort à Paris, Alkan est l'archétype de l'artiste romantique surdoué et vulnérable. Enfant prodige, il surpasse tous les autres : 1er prix de piano à dix ans au Conservatoire de Paris, puis 1er prix d’harmonie, d’accompagnement et d’orgue, il enseigne le solfège à quinze ans dans la prestigieuse institution, concourt à dix-huit ans pour le Grand Prix de Rome tout en créant son 1er Concerto pour piano à la Société des Concerts.

Dans le Paris cosmopolite de la monarchie de Juillet, Alkan est l’un des très rares émules de Liszt, l’un des très rares intimes de Chopin, apprécié de George Sand qui résume : “ Alkan, pianiste célèbre, musicien savant, homme de cœur. ”

Tout invitait le compositeur, doté d’une virtuosité transcendante, à jouer la carte du “ lion romantique ”. Plus rare est son destin de créateur “ aimant le grand art, ne sacrifiant point au succès éphémère, ayant horreur du banal, suivant sa voie sans jamais songer à la popularité ” (Marmontel). Il connaît en vérité le Tout-Paris des arts et des lettres, mais sa tendance à la misanthropie est tragiquement accentuée, à trente-cinq ans, après l’échec inattendu de sa candidature comme professeur de piano au Conservatoire (1848).

Compositeur irréductiblement original, il a accumulé un ample corpus pour piano qui tresse de brèves pages évocatrices réunies en Préludes, Chants ou Motifs/Esquisses, des Études d’une difficulté diabolique et de vastes architectures sonores, dont la Sonate les Quatre Âges. Il y joint deux concertos, trois exceptionnelles partitions de chambre et un vaste répertoire pour piano à pédalier ou orgue, dont l’ambitieux Impromptu sur le choral de Luther.

Aussi tendu vers l’Avenir que son ami Liszt, ce novateur impénitent se nourrit des classiques et interprète sans relâche Bach, Haendel, Mozart et Beethoven, sans oublier ses contemporains Mendelssohn, Chopin et Schumann, qu’il mettra encore en valeur dans ses tardifs et époustouflants Petits Concerts chez Erard. Ses cadets Franck, Saint-Saëns, d’Indy, Bülow, Busoni constituent alors une nouvelle génération d’admirateurs.

Né sous le Premier Empire, “ l’enfant vraiment merveilleux ” vanté par Rossini s’éteindra discrètement sous la IIIe République, après Liszt et Wagner ses derniers contemporains. Cheminer hors des sentiers battus fut la règle de vie de l’érudit juif et mystique, traducteur des Ancien et Nouveau Testaments, déchiré entre les réalités du monde d’ici-bas et l'idéalité du monde de l’au-delà. Un parcours stoïque, profondément émouvant.

Lui-même immense virtuose et créateur hors du commun, Busoni hissera Alkan au Parnasse des cinq plus grands compositeurs pour le piano depuis Beethoven, allant jusqu’à affirmer : “ Il faudrait considérer Alkan comme le plus important compositeur de musique pour piano de France. ”

Brigitte François-Sappey
docteur ès lettres
professeur honoraire au Conservatoire national supérieur de musique de Paris

Source: Commemorations Collection 2013

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