Page d'histoire : Institution de l'impôt sur le revenu 15 juillet 1914

Les 4 vieilles contributions & l'impôt sur le revenu
Dessin de Gilles Grandjouan pour la couverture de la revue L'assiette Au Beurre du 4 mai 1907 (n° 318)
© Bibliothèque nationale de France

La promulgation le 15 juillet 1914 de la loi créant l’impôt général sur le revenu ne fut en réalité qu’une étape de l’introduction en France d’un impôt moderne sur le revenu.

Le projet qu’avait présenté en février 1907 Joseph Caillaux, alors ministre des Finances, reposait sur trois idées. La première était la redéfinition des catégories de revenus (les cédules), permettant le remplacement des quatre contributions révolutionnaires (foncière, personnelle mobilière, patente, portes et fenêtres), dites les « quatre vieilles », par de nouveaux impôts catégoriels (les impôts cédulaires). Ainsi espérait-on mieux imposer les nouvelles formes de revenus (bénéfices, salaires, dividendes) qui représentaient une part croissante de la richesse nationale. Égalité et productivité fiscales devaient aller de pair.

La seconde idée était de personnaliser l’impôt, principalement par la création d’un impôt complémentaire progressif assis sur le revenu global du foyer. La troisième idée, enfin, était le recours à la déclaration du contribuable, contrôlable par l’administration fiscale.

Techniquement, Joseph Caillaux s’inspirait tout à la fois du système cédulaire anglais (1843) et de l’impôt progressif sur le revenu prussien (1891). Son projet n’était donc pas particulièrement précoce ou révolutionnaire. Il fut pourtant intensément débattu. Depuis les années 1830, l’impôt progressif sur le revenu était, pour les républicains, exigé par l’égalité fiscale et la justice sociale. Mais il était honni des conservateurs, qui y voyaient une menace pour le droit de propriété et le secret de la vie privée, une arme bien trop dangereuse pour être abandonnée à une majorité parlementaire issue du suffrage universel. Dans ces conditions, tant la IIe que la IIIe République naissantes, en avaient, en 1848 comme en 1872, repoussé l’établissement.

L’aboutissement de la réforme Caillaux est le reflet d’une évolution dans ce rapport de forces. La consolidation des institutions permettait aux radicaux-socialistes d’aborder le volet social du projet républicain. L’idée même d’une imposition progressive semble alors perdre de sa dangerosité pour les milieux modérés. Solidarisme, doctrine sociale de l’Église, théorie de l’utilité marginale du revenu, exemples étrangers ont ici pesé. La virulence des oppositions n’en fut pas pour autant diminuée, bien au contraire, au nom de la lutte contre « l’inquisition fiscale ». Aussi, le projet assez facilement adopté en mars 1909 par la Chambre des députés fut-il reçu avec circonspection par un Sénat plus conservateur. Les exigences du réarmement déterminèrent finalement une partie de la droite à voter un texte très largement remanié. L’impôt général progressif était institué, mais plafonné à 2 % ; la refonte des catégories de revenus se limitait à un toilettage des anciennes contributions (loi du 29 mars 1914) ; les pouvoirs de l’administration étaient restreints. La guerre leva ces obstacles (décret du 15 janvier 1916, loi du 31 juillet 1917).

L’impôt sur le revenu conçu par Joseph Caillaux a profondément marqué la fiscalité directe, en France et à l’étranger. Mais, plus encore, il traduit un idéal républicain de la justice fiscale, reposant sur la personnalisation de la dette fiscale et la responsabilisation du contribuable.

Emmanuel de Crouy-Chanel
professeur de droit public

Source: Commemorations Collection 2014

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