Page d'histoire : Charles Trenet Narbonne (Aude), 18 mai 1913 - Créteil (Val-de-Marne), 19 février 2001

25 mars 1938 à l’A.B.C. En lever de rideau du récital de Lys Gauty, Charles Trenet a signé un contrat pour trois chansons. Le public ne le laisse pas partir. C’est un triomphe. En une soirée, il démode deux générations de vedettes, sonne le renouveau de la chanson française et rallie à sa fantaisie toute la jeunesse du pays.

Soixante et un ans plus tard. Novembre 1999, salle Pleyel. Renversé bois de Vincennes, au cours de son footing quotidien, par un cycliste trop pressé, Trenet doit chanter assis devant 2 300 personnes.

Pendant plus de soixante ans, il aura enchanté ses contemporains. Il a survécu à toutes les modes pour gagner l’éternité promise à ceux qui savent être populaires en restant simples. Simple, Trenet ne fut pourtant pas simpliste. Il fut léger mais profond et joyeux parce que courtois. Mais qu’on ne s’y trompe pas. De sa chanson Y’a d’la joie!, Cocteau disait qu’elle était un rappel à l’ordre. Trenet n’a jamais enseigné le bonheur, qui est une roulette, mais la joie, qui est une discipline. Quand le malheur frappe, c’est en soi qu’on trouve de quoi le combattre. Comment ? En étant joyeux. C’est facile ? Non. C’est simple ? Oui: “ Il suffit pour ça d’un peu d’imagination ”. Autrement dit : la vie intérieure doit suppléer aux chagrins de la vie extérieure. “ Quand je repeins le ciel, c’est pour qu’il soit bleu. Et de mes larmes je fais d’étranges colliers qu’on voit briller. ”

De ses chansons, on pourrait aisément composer un manuel du genre Comment Trenet peut changer votre vie. Car ce bon vivant fut avant tout un grand vivant : il aimait les maisons, les voitures, le sport et passer des heures à table avec ses amis. Il avait de la morale et de l'ordre jusque dans ses caprices. Il était également peintre et écrivain. Pour le remercier de son roman Un noir éblouissant, Paul Morand lui dédia un poème qui commençait ainsi : “ Je chante n’importe quoi parce que chanter c’est mon rêve ”.

Toute sa vie, Trenet a chanté ce qui lui chantait. Les anecdotes abondent de ces chansons nées en cinq minutes, écrites sur un coin de table ou dans un train (ce fut le cas pour La Mer, dictée à Albert Lasry, qui a pris la mélodie en note sur un rouleau de papier hygiénique). Don absolu, jaillissement perpétuel d’une inspiration qui, dès ses débuts, s’est située à un niveau qu’elle n’a jamais quitté.

Bien sûr, toutes les chansons ne se valent pas. On ne se risquera pas à comparer Que reste-t-il de nos amours ? au Gros Bill et La folle complainte à Où es-tu ma souris ? Ici, “ de purs chefs-d’œuvre ” ; là des rengaines qu’on sifflote à bicyclette. Mais toutes, chacune dans son style, sont magnifiquement faites. Voilà pourquoi on peut redire avec Brassens : “ Tout est bien chez Trenet. ”

Que reste-t-il de Charles Trenet ? À chacun de répondre. Dans la chanson, il n’a pas eu de devanciers ; il n’aura pas non plus d’héritiers, tant il a, toute sa vie, exhorté ses confrères à être naturels, sincères et singuliers.

À ses débuts, Cocteau parlait d’un “ feu de paille qui durera longtemps ”. Aujourd’hui, à la place qu’il a prise, on voit bien ce que Trenet est devenu : un soleil.

Stéphane Hoffmann

Source: Commemorations Collection 2013

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