Page d'histoire : Maurice Ohana Casablanca (Maroc), 12 juin 1913 - Paris, 13 novembre 1992

Composer, c’est fatalement explorer ses racines ”, se plaisait à répéter Maurice Ohana, dont les racines multiples ont nourri une œuvre d’une rare originalité. Fils d’une Andalouse sépharade et d’un père natif de Gibraltar, donc citoyen britannique, il naît dans un Maroc sous protectorat français, où il est élevé par une nourrice berbère. Pratiquant le piano depuis l’âge de sept ans, il se produit en concert dès 1930. Son talent est remarqué par André Gide, qui lui propose de collaborer à ses Notes sur Chopin (1948).

C’est vers cette date qu’il décide d’abandonner une carrière de pianiste pour se consacrer à la composition. Avec deux élèves de son maître Jean-Yves Daniel-Lesur, il fonde le groupe Zodiaque, avec pour objectif un retour aux sources du langage musical, à l’écart des esthétiques tyranniques de l’époque, sérialisme, néo-classicisme ou progressisme.

D’emblée, Ohana affiche sa volonté de liberté. “ Je me suis mis à ne plus écouter que moi-même : n’obéir désormais qu’à ma seule intuition. ” Sa première œuvre importante, un oratorio sur le poème de Lorca Llanto por Ignacio Sanchez Mejias (1950), fait sensation. Enregistrée par le prestigieux chef Ataulfo Argenta, elle enthousiasme le public mélomane, et l’écrivain cubain Alejo Carpentier parle d’une “ révélation ”.

S’il considère avoir eu “ raison de prôner un retour à une musique sensuelle, résolument tournée vers l’émotion ”, Ohana entend approfondir sa démarche solitaire d’explorateur du son. “ Je crois qu’il n’y a pas d’art sans risque ”, affirme-t-il. Il veut briser le carcan de la gamme chromatique pour découvrir les richesses des micro-intervalles, et singulièrement le tiers de ton. Dans la poursuite de cette expérience, il bénéficie du soutien d’Henri Dutilleux, alors en charge du service des Illustrations musicales de la RTF, qui lui commande plusieurs partitions d’accompagnement pour des dramatiques radiophoniques, annonciatrices de ce que l’on appellera plus tard le “ théâtre musical ”. Ohana dédiera à Dutilleux l’une de ses œuvres majeures : Tombeau de Claude Debussy (1962).

Dès lors s’érige une œuvre considérable, allant d’un Tiento inscrit au répertoire de tous les guitaristes, jusqu’à l’opéra La Célestine, créé en 1988, en passant par de grandes fresques vocales (Lys de madrigaux, Office des oracles, Messe, Avoaha) et orchestrales (T’Haran Ngô, Livre des prodiges), des pièces concertantes (Anneau du Tamarit, Chiffres de clavecin, Trois graphiques), des œuvres scéniques (Syllabaire pour Phèdre, Autodafé, Trois contes de l’honorable fleur) ou pour percussions (Quatre études chorégraphiques) et surtout pour son instrument intime, le piano, qu’il appelait “ Le Minotaure à 88 dents ”. Du premier Capricho (1943-44) à So Tango (1991), le piano traverse son œuvre, soliste ou en duo (Soron Ngô), concertant ou en duo concertant (Synaxis), avec en son coeur les Préludes et les Etudes considérées aujourd'hui à l'égal de ceux de Chopin et de Debussy.

Apprenant sa disparition, le président François Mitterrand, qui lui avait remis quelques mois auparavant les insignes de chevalier de la Légion d’honneur, écrivait : “ Son œuvre, j’en suis convaincu, figurera parmi les plus hautes dans l’histoire de la musique de notre temps. ”

Édith Canat de Chizy, compositeur et membre de l'Institut, et François Porcile, cinéaste et musicologue

Source: Commemorations Collection 2013

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