Page d'histoire : François Magendie Bordeaux, 6 octobre 1783 - Paris, 8 octobre 1855

François Magendie

Aucun portrait ne paraît plus trompeur que celui de Magendie par Guérin : ce visage romantique de chérubin bouclé émergeant d’une cravate immaculée que l’on penserait nouée par Brummel en personne. On est loin du savant arrogant, querelleur, manipulant ses statistiques comme ses expériences et de qui beaucoup de ses contemporains se tiennent à distance. Mais ce n’est pas tout : Magendie était aussi un lâche qui, à deux reprises, en 1805 et 1813, aura su se soustraire à la conscription. La vérité est plus proche de Guérin, à condition de placer dans les yeux et sur les lèvres de son modèle cette certitude de supériorité qu’il n’y a pas mise et dont Magendie était le premier persuadé. Une certitude que l’avenir justifiera amplement, au point qu’en 1975 l’Allemand Carl Lichtenthaeler, l’un des meilleurs historiens contemporains de la médecine moderne, considérait que celle-ci se scindait en deux tranches : avant et après Magendie.

Né à Bordeaux en 1788, François Magendie, à peine arrivé à Paris, va en 1809 dénoncer avec véhémence le Vitalisme de Bichat, tout en posant, comme en se jouant, les bases de la physiologie cellulaire, et cela quelque trente ans avant que la cellule animale n’ait été découverte. La même année, il se lance dans l’étude de l’action toxique de différentes plantes et l’on peut dater de ce travail le démarrage en France de la pharmacologie expérimentale. Dès lors, dans la soupente où, loin de son service hospitalier, il mène ses expériences, celles-ci, qu’elles soient végétales ou animales, vont déferler dans les domaines les plus variés, voire les plus inattendus, qu’il s’agisse du mécanisme des vomissements, de la fixation des images sur la rétine, de l’assimilation du suc pancréatique ou des prémisses de l’anaphylaxie. Mais c’est en 1822, lorsqu’il démontre le rôle des racines rachidiennes, que son nom va acquérir sa dimension internationale. Avec éclat mais aussi éclats. À peine a-t-il objectivé le caractère moteur des racines antérieures et sensitif des postérieures que l’anatomiste anglais Charles Bell s’exclame que ce n’est là qu’un plagiat de ses propres expériences (1). Rapidement le ton monte de part et d’autre de la Manche, les invectives pleuvent, arbitrées par la communauté scientifique. Mais Magendie sort vainqueur. Sans doute connaissait-il – ce qu’il contestera toujours – les travaux de son challenger, mais ceux-ci n’étaient que fragmentaires au niveau des racines antérieures et ignoraient tout des postérieures.

Dans ce foisonnement de « trouvailles » – comme disait Laennec de sa découverte du stéthoscope – Magendie mêla quelques erreurs, dont la plus surprenante – de sa part – a été son opposition irréductible à la mise au point de l’anesthésie. Peut-être lui reprochait-il avant tout de venir d’un autre que lui …

Mais plus encore que par ses recherches, si importantes soient-elles, c’est au tournant qu’il imprime à la pensée médicale qu’il doit sa place dans l’histoire de la médecine. Avec lui, pour qui ne comptent que les faits, le coup d’œil du clinicien demeure essentiel, mais il se porte sur des lésions organiques déjà en route dont il faut pour les stopper comprendre les mécanismes. C’est là que la clinique doit faire appel à la physique et la chimie (2). « La médecine est la physiologie de l’homme malade », martèle-t-il en une formule lapidaire dont Claude Bernard, son élève (3), dira qu’elle résumait tout.

Balzac, dans La Peau de Chagrin, donne vie, le temps d’une consultation, au Dr Maugredie où, derrière « son sourire sardonique » et sa religion de « s’en tenir aux faits », se reconnaît aisément Magendie.

 

Jean-François Lemaire
docteur en médecine
docteur en histoire

 

1. An Idea of a New Anatomy of the Brain, Londres, 1811
2. Les cliniciens « purs » seront longs à l’admettre. En 1927, dans une lettre à Charles Nicolle, Pasteur Vallery-Radot déplorait la manière dont les médecins tenaient encore à distance les chimistes. (PVR à C.N. BMR (Rouen) HSmm 163 (03.01.1927).
3. Son seul élève, pourrait-on même dire. Mais, quitte à n’en avoir qu’un, observons sa dimension.

Source: Commemorations Collection 2005

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