Page d'histoire : Inauguration du monument Renan Tréguier (Côtes-d'Armor), 17 septembre 1903

Tréguier, statue d'Ernest Renan par Jean Boucher,
coll. Germain fils Archives départementales des Côtes d'Armor
© service photographique des
Archives départementales des Côtes d'Armor

L’ inauguration de la statue d’un « grand homme » dans sa ville natale était, au tournant du siècle, un événement ordinaire. Ce n’était même plus un événement, c’était devenu une mode, un élément du rituel et presque du folklore républicain, dont les gens de goût et les partis extrémistes se moquaient. Celle d’Ernest Renan à Tréguier (Côtes-d’Armor) le 17 septembre 1903 a revêtu pourtant un autre caractère.

Que le ministre de l’Instruction publique, Joseph Chaumié, soit venu de Paris pour inaugurer cet hommage à un grand universitaire était conforme aux usages, mais la présence, en outre, d’Émile Combes, président du Conseil, et d’Anatole France, leader reconnu de la gauche intellectuelle depuis la mort d'Emile Zola, faisait exception et donnait à l’affaire un caractère politique que personne, au reste, ne niait. L’hommage à Renan, transfuge du catholicisme, auteur antidogmatique de la Vie de Jésus et sanctionné pour cela par le Second Empire, était l’accompagnement symbolique de la politique de laïcisation intransigeante qui allait aboutir à la séparation de l’Église et de l’État et à la rupture avec le Vatican.

On était, en outre, en Bretagne, province considérée alors comme typique de ces zones massivement pieuses que la République avait encore à conquérir moralement. Il y avait donc aussi dans l’affaire un aspect d’irruption de Paris dans la périphérie occidentale. Du reste, les Parisiens étaient accompagnés de beaucoup de soldats. Il y eut des manifestations hostiles, des échauffourées, et c’est « miracle » (on l’a dit à l’époque...) que personne n’en soit mort.

Sur le socle, Renan n’est pas flatté. Suivant les normes du temps, il est montré bien réel, ressemblant, écroulé dans le fauteuil, attribut usuel des héros de la pensée et de l’écriture. On a remarqué surtout que, pour l’accompagner (autre convention) d’une femme allégorique, le sculpteur, Jean Boucher, n’avait pas érigé une Marianne banale mais une « Déesse » de rang, si l’on peut dire, supérieur, Athéna, la Pensée, la Pensée libre, symbolique évidente, en outre confirmée par l’allusion précise au texte de la Prière sur l’Acropole.

Comme on sait, les temps sont changés, d’abord parce que les rapports entre la République et le catholicisme ont cessé d’être les rapports de violente hostilité qu’ils étaient il y a cent ans. Mais aussi parce que la Bretagne tout entière a reconnu la part qu’il y avait chez Renan de poésie et de sensibilité «celtiques », et que, au-delà de sa philosophie, son « génie » faisait honneur à sa terre natale. Les célébrités finissent toujours par être récupérées chez elles comme porteuses « d’identité »...

 

Maurice Agulhon
professeur honoraire au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2003

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