Page d'histoire : Flora Tristan Paris, 7 avril 1803 - Bordeaux, 14 novembre 1844
Flore, Célestine, Thérèse, Henriette Tristan-Moscoso dite Flora Tristan
Flora Tristan a sa place en histoire de France dans le même compartiment que sa contemporaine George Sand, celui des femmes que leurs déboires privés, aggravés par les injustices propres à la condition féminine d’alors, ont amenées à une sorte d’anticipation du féminisme, en même temps qu’à une insertion inattendue dans les combats politiques de leur siècle. Combats de la gauche bourgeoise, pourrait-on dire, pour George Sand, qui devient libérale puis républicaine, combats de l’extrême-gauche pour Flora Tristan, qui demeure comme un acteur trop peu connu du « mouvement ouvrier ».
Elle était d’éducation très bourgeoise, étant fille d’un noble et riche Péruvien marié en Espagne à une Française. Le mariage ayant été béni par un prêtre en exil mais n’ayant pu être enregistré civilement fut considéré comme nul et, après la mort de son père, Flora, malgré un voyage au Pérou, ne put obtenir la moindre part d’héritage de la famille américaine. Donc, retour à Paris, et vie dans la précarité, tantôt dame de compagnie, tantôt ouvrière d’art (gravure, lithographie). Un patron la séduit, l’épouse, ils ont des enfants ; puis c’est la séparation, échange sordide de procès et de coups. Le poumon percé d’un coup de pistolet en 1838, Flora Tristan, la santé ébranlée, mourra « poitrinaire » six ans plus tard. Les enfants survécurent, et l’une des filles devait devenir la mère de Paul Gauguin.
Assez proche du peuple pour en subir et en sentir les misères, et assez lettrée pour connaître le monde foisonnant des artistes, écrivains et théoriciens des années 30 et 40, Flora Tristan devient l’une des plus authentiques et des plus complètes figures du socialisme dit utopique, précurseur de la Révolution de 1848.
Un roman, Memphis, une autobiographie, Pérégrinations d’une paria, une enquête sévère dans le pays phare du capitalisme industriel, Promenades dans Londres, enfin un essai de programme et d’appel à la constitution d’une association ouvrière réformatrice, l’Union ouvrière.
Pour prolonger le succès parisien de ce dernier écrit, elle se lance dans un « Tour de France » de plusieurs mois qu’elle n’aura pas le temps d’achever, mourant épuisée à Bordeaux où sa tombe, érigée en 1848, est visible au cimetière Bordeaux-Chartreuse. La mémoire de Flora Tristan nous aide utilement à enrichir l’histoire d’un « mouvement ouvrier » réel, qu’on ne saurait réduire aux noms évocateurs et symboliques de Karl Marx, d’Auguste Blanqui ou d’Agricol Perdiguier.
Maurice Agulhon
professeur honoraire au Collège de France
membre du Haut comité des célébrations nationales
Pour aller plus loin...
- Elle quitte rapidement son mari violent mais le couple s'entredéchire pour la garde de leurs enfants. En 1838, après lui avoir tiré dessus, il est condamné à vingt ans de prison : Le Journal des Débats du 1er février 1839 relate le déroulement du procès devant la cour d'assises de la Seine.
- Elle en profita pour assister à des audiences du conseil des prud'hommes, comme le relate le bi-mensuel L'Écho de la Fabrique : littérature, beaux-arts, théâtres, nouvelles, variétés, annonces diverses du 15 juin 1844.
- La Bibliothèque nationale de France (BnF) a organisé des soirées thématiques, Femmes engagées, et propose d'écouter la conférence de Michelle Perrot sur Flora Tristan.
- Elle était la grand-mère de Paul Gauguin.
Source: Commemorations Collection 2003