Page d'histoire : Alfred Sisley Paris, 30 octobre 1839 - Moret-sur-Loing (Seine-et-Marne), 29 janvier 1899

L’Inondation à Port-Marly Paris
musée d’Orsay © RMN

Le Pont de Moret Paris
musée d’Orsay © RMN - Hervé Lewandowski

Avec Monet, c’est Sisley qui a cherché et réussi à exprimer les nuances les plus subtiles de la nature dans les paysages impressionnistes. Alfred Sisley, né à Paris en 1839, mais de nationalité anglaise, était le fils d’un négociant britannique aisé. Après avoir visité les musées en Angleterre, le jeune Sisley préféra se destiner à la peinture plutôt qu’au commerce : il entra en 1862 à l’atelier de Gleyre où il fit la connaissance de Renoir, Monet et Bazille. Les quatre amis quittèrent l’atelier du maître dès mars 1863 pour travailler en plein air et planter leur chevalet dans la forêt de Fontainebleau.

En préface au catalogue de la vente de l’atelier de Sisley organisée au profit de ses enfants trois mois après la mort du peintre en 1899, le critique Arsène Alexandre analysait ainsi l’heureux caractère de l’artiste : « ... dans le petit groupe laborieux et insouciant, épris de lumière, que forment à Fontainebleau Monet, Renoir, Sisley, Bazille, il représente la gaieté, l’entrain, la fantaisie. Renoir se souvient et nous a souvent parlé de l’intrépide bonne humeur de Sisley, à cette époque exempte d’argent et de mélancolie ... Il [Sisley] me conta un jour que nous devisions de choses d’art, que dans sa jeunesse il avait fréquenté les « Concerts populaires », les concerts Pasdeloup, et qu’une des choses qui l’avaient le plus frappé, qui lui avaient procuré un ravissement ineffaçable, c’était le « trio » du scherzo dans le Septuor de Beethoven. "Cette phrase si gaie, si chantante, si entraînante, me disait-il, il me semble que, depuis la première fois que je l’ai entendue, elle fait partie de moi-même, tant elle répond à tout ce que j’ai toujours été au fond. Je la chante sans cesse. Je me la fredonne en travaillant. Elle ne m’a jamais abandonné ... ». Sisley avait probablement hérité cette sensibilité de sa mère qui appartenait à une famille londonienne cultivée et musicienne.

Ses premiers envois au Salon trahissent l’influence de Courbet, Daubigny, et surtout de Corot. L’année 1870 mit fin à la jeunesse insouciante de l’artiste qui exposa pour la dernière fois au Salon dont il se détourna ensuite. En 1874, après avoir fait figurer cinq œuvres à la première exposition dite « impressionniste », Sisley séjourna durant l’été en Angleterre : il y exécuta plusieurs paysages au bord de la Tamise, à Hampton Court, ainsi que Les régates à Molesey, tandis qu’en France, Monet représentait Les régates à Argenteuil. Sisley choisit inlassablement pour sujet de ses toiles le ciel et l’eau animés par les reflets changeants de la lumière et, par ses paysages, il s’inscrit dans la lignée de Constable, Bonington et Turner. S’il subit l’influence de Monet, il s’éloigne de son ami par sa volonté de construction qui lui fait respecter la structure des formes.

Afin d’assurer l’existence de sa famille, Sisley s’attacha à représenter les environs de Paris, la région de Louveciennes et de Marly-le-Roi : il devint ainsi le peintre de l’Ile-de-France, sans jamais obtenir la nationalité de son pays d’adoption. Se montrant sensible à l’écoulement des saisons, il aimait à traduire le printemps avec les vergers en fleurs ; mais ce fut la campagne hivernale et enneigée qui attira particulièrement Sisley dont le tempérament réservé préférait le mystère et le silence à l’éclat des paysages ensoleillés de Renoir.

Également à la différence de Renoir, peintre de figures et auteur notamment, en 1874, d’un très beau Portrait d’Alfred Sisley (Art Institute of Chicago), ce dernier, peut-être en raison de sa nature discrète et timide, ne s’essaya jamais véritablement au portrait. Sisley a excellé dans la représentation du paysage, méritant d’être ainsi qualifié en 1906 par le critique Duret : « un délicat que la nature enchante ... ».

En 1879, Sisley tenta de nouveau l’admission au Salon où son envoi fut refusé. Il participa à la septième exposition des impressionnistes en 1882 - il avait figuré à celles de 1876 et 1877 -. Puis il s’établit à Moret-sur-Loing en 1882-1883 avant de s’y retirer définitivement en 1889. « Le pays n’est pas mal, un peu paysage dessus-de-tabatière […], église fort jolie, vues assez pittoresques » : c’était ainsi que le peintre décrivait dans une lettre adressée le 31 août 1881 à son ami Monet l’endroit qu’il allait immortaliser par son pinceau dans ses nombreuses vues des rives du Loing et de la petite ville au riche passé moyenâgeux. Sisley s’y est éteint le 29 janvier 1899. Avec lui disparaissait le seul des impressionnistes à n’avoir pas connu le succès, malgré le soutien moral et financier manifesté par les marchands Paul Durand-Ruel et Georges Petit, et leurs efforts pour faire découvrir son œuvre à Paris comme à l’étranger. Cette même année, Monet regroupa les amis de Sisley pour donner une toile de l’artiste au musée du Luxembourg (Le Canal du Loing).

Dans la lettre qu’il écrivait à son fils Lucien le 22 janvier 1899, Pissarro pressentait la place qui allait revenir au peintre : « Sisley, dit-on, est fort gravement malade. Celui-là est un bel et grand artiste. Je suis d’avis que c’est un maître égal aux plus grands. J’ai revu des œuvres de lui d’une ampleur et d’une beauté rare, entre autres une Inondation qui est un chef-d’œuvre ». Et, en effet, à la vente Tavernier du 6 mars 1900, L’ Inondation à Port-Marly (aujourd’hui conservée au musée d’Orsay) atteignait une enchère élevée en étant adjugée au comte Isaac de Camondo. Le succès, qui avait été refusé à Sisley de son vivant, s’attacha ainsi à son nom dès l’année suivant sa disparition.

Un hommage a été rendu au talent du peintre par la récente exposition internationale « Sisley » organisée en 1992-1993 (Londres, Royal Academy of Arts - Paris, musée d’Orsay - Baltimore, Walters Art Gallery) : y étaient retracées les différentes phases de sa carrière jusqu’à l’étape ultime de Moret-sur-Loing. Et le grand intérêt manifesté alors par le public exprimait et confirmait la faveur dont jouit désormais l’artiste.

Moret-sur-Loing demeure comme le lieu d’un pèlerinage accompli avec ferveur par les amateurs de Sisley qui viennent sur les pas du peintre disparu, sans oublier de se rendre sur sa tombe. En 1989, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de la naissance du peintre, et du centenaire de son installation à Moret-sur-Loing, a été créée l’association « Les Amis d’Alfred Sisley » avec un double objectif : elle aide à une meilleure connaissance de Sisley, l’homme et l’artiste, autant que de son œuvre, et elle souhaite faire découvrir ce village d’Ile-de-France où il avait choisi de vivre et de travailler ; l’association contribue au respect des lieux ayant inspiré le peintre afin que l’environnement demeure dans un esprit de fidélité à Sisley, permettant ainsi de retrouver les sites où il a planté son chevalet.

Depuis une trentaine d’années, chaque samedi d’été se déroule le festival de Moret-sur-Loing : ce spectacle nocturne « son et lumière » évoquant l’histoire de la cité fait apparaître le peintre Sisley. Et la ville de Moret-sur-Loing conçoit plusieurs manifestations s’échelonnant au long de l’année 1999 afin de commémorer le centenaire de la mort d’Alfred Sisley.

Sylvie Patin
conservateur en chef au musée d’Orsay

Source: Commemorations Collection 1999

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