Page d'histoire : L'Empereur charge Viollet-le-Duc de la restauration de Pierrefonds 1857

Village et château de Pierrefonds dans Album photographique du train impérial
photographie d’Édouard-Denis Baldus
Compiègne, musée de la voiture
© RMN/Daniel Arnaudet

En 1857, Eugène Viollet-le-Duc publie sa Description du château de Pierrefonds. C’est sans doute la même année que Napoléon III décide d’affecter des crédits de la liste civile à la restauration de l’édifice. En tout cas, le 28 décembre de cette année-là, l’architecte demande à Achille Fould, ministre de la maison de l’Empereur, qu’un budget soit mis à sa disposition. Quelques semaines plus tard, il précise qu’en accord avec le souverain, son projet se limite à la restauration du donjon et de deux tours et que le reste de la forteresse constituera une sorte d’écrin fait de vestiges pittoresques.

Ce n’était pas la première fois qu’on s’intéressait à Pierrefonds. Laissé à l’état de ruine par décision de Louis XIII en 1617, l’édifice attira dès le XVIIIe siècle les visiteurs et les artistes. Tavernier de Jonquières en fit de nombreuses vues et Louis XVI s’y rendit en 1788. Après les ventes révolutionnaires, Napoléon le racheta, peut-être dans l’idée de le faire restaurer. En 1832, Louis- Philippe y donna un grand banquet à l’occasion du mariage de sa fille avec Léopold Ier, roi des Belges ; pour l’occasion, on avait déblayé la cour de ses gravois. Un peu plus tard, il eut les honneurs des Voyages pittoresques dans l’ancienne France dont le baron Taylor assurait la publication (1845) ; de nombreux peintres romantiques en firent l’objet de leurs tableaux.

En 1848, Pierrefonds est classé sur la liste des monuments historiques ; les architectes Questel et Leblanc y entreprennent des fouilles. La proximité de Compiègne et la découverte d’eaux sulfureuses à Pierrefonds même attirent de nouveaux visiteurs : en 1850, le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte s’y rend en personne. C’est au cours d’un séjour de la cour impériale à Compiègne, dont Prosper Mérimée et Viollet-le-Duc sont les hôtes assidus, qu’est évoquée la question de la restauration : on ne parle alors que d’une restauration partielle.

C’est sur un site probablement fortifié depuis l’époque carolingienne que le château fut construit sur ordre de Louis d’Orléans, second fils de Charles V. On ne connaît pas la date précise du début des travaux : on la situe approximativement vers 1390. L’intention du commanditaire consistait à doter le Valois, qu’il possédait en apanage, d’un puissant réseau de fortifications. Il ne semble pas qu’il ait résidé à Pierrefonds, encore qu’en 1406, lorsque Louis marie son fils Charles, la cour ducale se soit transportée de Compiègne jusqu’à la forteresse. Toujours est-il que les travaux à peine achevés, elle fait l’objet de plusieurs attaques (1411 et 1413) dont elle ne sort pas indemne. En 1498, l’apanage de Valois et, donc, Pierrefonds réintègrent le domaine royal lorsque Louis d’Orléans monte sur le trône sous le nom de Louis XII. L’histoire du château est par la suite très mouvementée, en particulier sous le règne de Henri IV qui eut à le disputer aux armées de la Ligue. Un dernier siège intervient en 1617 : à l’intérieur sont les troupes du parti des mécontents qui poursuit contre le jeune Louis XIII les attaques qu’il avait déjà entreprises du temps de son père ; à l’extérieur, les armées royales, sous la haute autorité de Richelieu, alors ministre de la Guerre. Un bombardement d’artillerie écrase les assiégés. Ordre est donné de démanteler la forteresse.

C’est donc un édifice passablement ruiné que Viollet-le-Duc est chargé de restaurer en 1857. L’architecte est alors au faîte de sa réputation : il veille, avec Jean-Baptiste Lassus, à rendre sa splendeur à Notre-Dame de Paris ; il est également responsable de l’abbatiale de Saint-Denis et de nombreux monuments historiques de la plus haute importance ; il exerce, comme inspecteur général, une autorité incontestée sur l’entretien des plus belles cathédrales du pays. En 1858, il se voit confier par l’Empereur le soin de réaliser à Saint-Denis le caveau des Napoléonides et, l’année suivante, intrigue auprès d’Eugénie pour être chargé de la construction de l’Opéra. Le chantier de Pierrefonds s’inscrit au départ de l’irrésistible ascension de l’architecte, dont le secret se trouve dans l’intimité des soirées de Compiègne, et à laquelle mettent fin la décision d’organiser un concours pour la construction de l’Opéra et la victoire de Charles Garnier.

Dès le début de l’année 1858, une fois acceptés les projets de Viollet-le- Duc, le chantier commence,  co-financé par la liste civile et par les monuments historiques : la tour nord (Godefroy de Bouillon), puis la tour est et le donjon sont restaurés. Mais, l’année suivante, un changement intervient ou, plutôt, un accroissement de programme : les autres tours vont être relevées à leur tour, de façon à restituer à la forteresse sa silhouette extérieure. En revanche, les autres bâtiments resteraient à l’état de ruine comme l’Empereur l’avait souhaité au
départ. À la fin de l’année 1861, Viollet-le-Duc obtient une décision encore plus favorable à ses vues : c’est la totalité de la forteresse qui va être restaurée et transformée en résidence impériale. Dès lors, les travaux avancent très vite : la salle des Preuses, la chapelle, les lices sont reconstruites. Malheureusement, la guerre de 1870 et la chute du régime laissent le chantier à l’état d’inachèvement, puis définitivement interrompu. Plus de cinq millions de francs ont néanmoins été dépensés.

Viollet-le-Duc a créé à Pierrefonds de grands morceaux d’architecture, telle la chapelle - probablement son chef-d’oeuvre. Il a mis en application ses principes en matière de décoration : peintures murales, lambris, mobilier. Et surtout, il a inventé une sorte d’archétype, l’image du château fort idéal. Transmise par le truchement du livre qu’il fait paraître chez Hetzel, Histoire d’une forteresse, la silhouette de Pierrefonds va s’imposer et marquer durablement dès l’enfance l’imagination des Français.

 

Jean-Michel Leniaud
directeur d’études à l’École pratique des hautes études
professeur à l’École nationale des chartes

Source: Commemorations Collection 2007

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