Page d'histoire : Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu... ou l'élargissement du monde château de La Brède (près de Bordeaux) 18 janvier 1689 - Paris, 10 février 1755

Charles de Secondat, huile sur toile d'après Jacques-Antoine Dassier
vers 1728, châteaux de Versailles et de Trianon
© RMN

Le convoi funèbre de Charles-Louis de Secondat de La Brède, baron de Montesquieu, ne fut suivi, de la rue Saint-Dominique à Saint-Sulpice, que par un seul écrivain, Denis Diderot. Mais sa disparition fut tenue, dans l’Europe entière, pour un grand malheur, de la cour de Saint-James à Potsdam et à Saint-Pétersbourg. Mieux peut-être hors de nos frontières qu’à Paris ou à Bordeaux, le « législateur universel » fut pleuré. Certes, le « roi Voltaire » n’avait pas achevé sa course, Rousseau à peine entamé la sienne. L’âge de l’Encyclopédie s’ouvrait. Mais partout les esprits éclairés comprenaient qu’avec l’auteur de l’Esprit des Lois un temps finissait avant même que fussent fondées les règles qu’il annonçait.

Né en 1689, au moment où commence à se ternir l’éclat du règne solaire, mort en 1755, quand Louis XV cesse d’être le Bien-aimé, écarté sa vie durant des affaires publiques, quoi qu’il en eût, Montesquieu apparaît moins comme un homme de l’histoire que comme un inventeur d’Espaces. Il n’est pas un acteur décisif de la chute du despotisme, ni même de la « séparation des pouvoirs » qu’il aura suggérée sous une forme prudente, celle de la simple distinction entre ceux qui font les lois, ceux qui les appliquent et ceux qui en sanctionnent la violation.

Mais ce qui lui revient en propre, pour sa gloire, c’est l’élargissement du Monde. C’est, deux siècles après Montaigne, la mise en lumière de l’Universel, moins sous sa forme géographique – il n’a couru que de Vienne à Naples et de Munich à Londres – que sous celle de la conscience. L’auteur des Essais avait fait valoir que pour être cannibale, on n’en était pas moins homme. Prenant, avec plus d’autorité, le relais de son prédécesseur au parlement de Bordeaux, Montesquieu fait valoir que la raison du climat est toujours la meilleure et qu’être né dans un lieu tempéré n’implique pas le droit de jeter l’anathème sur les pratiques de ceux qui ont affaire avec la banquise ou l’équateur.

Que de vérités s’entendent dire les Parisiens visités par Rica et Usbeck ! ! De quels étonnements lumineux sont donc riches ces Persans plus judicieux que les courtisans de Versailles ou les robins de la Cité. Que de lumières venues de cette périphérie du monde « civilisé » ! Où situer, dès lors, les frontières de notre univers ? Voilà qui est ouvrir grand des fenêtres…

… Que l’auteur de l’Esprit des Lois produit mieux encore, mettant sous les lois de la seule raison, plus ou moins échauffée, ou enrhumée, les actions de tous ceux qui s’agitent sous le même soleil, du Paraguay aux Indes. Multiples comme les climats sont les mobiles qui agitent, ici et là, faiseurs de rois et brûleurs de prêtres…

Grand esprit, ce baron de Gironde, non par ce qu’il a accompli, que pour ce qu’il aura permis aux autres de comprendre. D’autres, à l’avènement des Lumières, ont contribué avec plus de rigueur. Lui aura assuré, avant tous les autres, l’Espace.

Jean Lacouture
journaliste-écrivain

Source: Commemorations Collection 2005

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