Page d'histoire : Dom Jean Mabillon Saint-Pierremont, 23 novembre 1632 - Saint-Germain-des-Prés, 27 décembre 1707

Les restes de Jean Mabillon reposent aujourd’hui avec ceux de Descartes sous une pierre tombale de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Le XIXe siècle commençant qui les y déposa tenait la gloire de l’historien pour égale à celle du philosophe et, peut-être, le XXIe siècle ressuscitera-t-il la grande figure du bénédictin mauriste.

Né à Saint-Pierremont en Champagne d’une famille de paysans modestes, Mabillon, devenu moine bénédictin à Reims à l’âge de 17 ans à peine, est la plus grande illustration de la congrégation de Saint-Maur. Créée avec l’appui de Richelieu pour doter la France d’un « atelier de recherche historique » selon le mot de Renan, la congrégation inaugura la recherche des antiquités ecclésiastiques nationales, mit en oeuvre un immense effort archivistique de collecte des sources pendant un siècle et demi, jusqu’à la Révolution. On lui doit une histoire résolument gallicane en matière religieuse et les fondements de l’histoire savante provinciale et nationale de la France.

Mabillon, après avoir secondé Luc d’Achery, le bibliothécaire de Saint-Germain-des-Prés dans l’édition de ses Spicilèges (à partir de 1655) publie Les OEuvres complètes de saint Bernard (1677) et Les Actes des saints bénédictins (1668-1701, 2 vol.) où il défend l’existence d’un seul et unique ordre monastique dans l’Église des premiers temps jusqu’au XIIIe siècle.

Les controverses suscitées par sa méthode critique rigoureuse (« la religion n’a peur ni de la lumière ni de la vérité ») venues des rangs bénédictins et bollandistes le conduisent à rédiger un manifeste de la recherche historique : Brèves réflexions sur quelques règles de l’histoire, et surtout à publier, en 1681, La Diplomatique (De Re diplomatica libri) qui, selon le mot même de Marc Bloch, fonde définitivement la critique des documents d’archives et constitue une grande date de l’histoire de l’esprit humain. « Étant donc engagé de traiter de l’Antiquité, je me suis proposé pour la première de mes règles, l’amour de la vérité, mais j’y avais un engagement particulier en donnant les originaux... des choses » (Mabillon). Volonté d’un travail de la preuve qui engage l’historien dans une action de démonstration et de préparation et le conduit à proposer une définition théorique des diplômes authentiques, qui donne le moyen de distinguer les archives vraies des fausses. La diplomatique formule les règles pour trier et classer les anciennes chartes, discriminer les pièces authentiques des témoignages falsifiés à partir de critères matériels ou de connaissances des procédures juridiques particulières. La révolution épistémologique qu’elle accomplit est au point de départ des voyages commandés à Mabillon par la Monarchie en Flandres (1679), en Allemagne (1683), en Italie, en Lorraine, en Alsace, dont il rapporte des pièces et des actes, donnant ainsi un coup d’envoi à l’immense effort de centralisation archivistique accompli par les bénédictins mauristes et par leurs futurs relais à l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour collationner les sources de l’histoire de France, lesquelles seront rassemblées, à la fin du XVIIIe siècle dans le cabinet des chartes de Jacob-Nicolas Moreau.

Soutenu par Louis XIV et nommé à  l’Académie des inscriptions et belles-lettres, Mabillon n’en a pas moins vu la dernière partie de son existence officielle affaiblie par la montée du jansénisme à Saint-Maur (il est l’éditeur des OEuvres de saint Augustin) et surtout par sa querelle avec l’abbé de la Trappe, Rancé, qui veut abolir les études dans l’Église de France. La renommée posthume de Mabillon sera estompée dans notre pays par la « crise de la conscience européenne » et par la défaite de l’érudition et d’un catholicisme des Lumières oecuménique et libéral à la fin du XVIIe siècle. Mais, puisqu’à chaque étape de refondation de l’école historique française, tour à tour, Guizot, Gabriel Monod, Marc Bloch ont avoué leur dette à l’égard du grand mauriste, le tricentenaire de sa mort pourrait être l’occasion de célébrer son retour.

 

Blandine Kriegel
professeur des universités
chargée de mission auprès du président de la République
 

Source: Commemorations Collection 2007

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