Page d'histoire : Création du Petit Journal 1863

Aspect de l'angle du boulevard Montmartre et de la rue Richelieu le jour de l'apparition du
Journal illustré

Bois gravé paru en une du n° 5 (du 14 au 20 mars 1864) du Journal illustré, dessin d'H. de
Hem. - Paris, Musée Carnavalet, Cabinet des arts graphiques
© Gérard Leyris/Musée Carnavalet/CAG
 

Fondé en juillet 1863 par un ancien employé de banque, Moïse Polydore Millaud, Le Petit Journal inaugure en France la presse populaire moderne. L’idée qui préside au lancement du nouveau quotidien est simple, capter le plus large public possible en lui offrant une sorte de synthèse imprimée de ses aspirations : faits divers et informations variées, romans-feuilletons, chronique judiciaire, vulgarisation scientifique. Le Petit Journal délaisse donc la politique, ce qui lui permet d’échapper au droit de timbre et d’être vendu au plus bas prix : 5 centimes, soit « un sou ». Plus important encore est le choix de la vente au numéro, qui brise la logique élitiste de l’abonnement. Lancé avec force réclame, le journal s’adosse à l’expérience de Léo Lespès, homme clé de la rédaction dont les chroniques quotidiennes, signées Thimothée Trimm, assurent le succès. D’emblée est aussi fait appel aux feuilletonistes célèbres, Émile Gaboriau, l’inventeur du roman judiciaire, ou Alexis Ponson du Terrail, l’auteur de Rocambole.

Plus qu’un journal, c’est un nouveau regard sur le monde qu’inventent les rédacteurs du Petit Journal. On y trouve tous les ingrédients de la presse de masse, à l’exception de l’image qui n’est introduite, à travers le supplément illustré, qu’en 1889. L’objectif étant de toucher le plus grand nombre, il convient donc d’éviter les opinions tranchées au profit du consensus, de l’opinion moyenne, du conformisme. Les contenus sont donc de ceux qui parlent à tous : crimes, accidents, catastrophes, vie des hommes illustres, fêtes et traditions. « Il faut avoir le courage d'être bête », argumentait Millaud. L’imaginaire traditionnel du colportage est ainsi colonisé par le nouveau quotidien qui privilégie la logique du fait divers, du trait d’humanité, des sentiments forts et éternels : admiration, inquiétude, peur, fatalisme. Mais il sait aussi instruire, et une grande partie de son succès vient de ce souci permanent d’éducation, d’encyclopédisme, de leçons de choses, façon sagesse des nations. Informer, distraire et édifier, telle était bien la fonction de ce nouveau média.

Le succès est immédiat. Des 38 000 exemplaires du lancement initial, on passe à 259 000 à la fin de l’année 1865. Un seuil est franchi, qui inaugure l’ère de la presse de masse. La priorité donnée par le journal à l’affaire Troppmann en 1869 (un sextuple assassinat retentissant) lui permet de doubler ses ventes et d’atteindre le chiffre alors inimaginable de 467 000 exemplaires. La route vers le million est ouverte, que le quotidien de Millaud, vite surnommé le « Millaunaire », atteint en 1891. Victime de son succès, Le Petit Journal est alors rattrapé et dépassé par ceux à qui il avait ouvert la voie (Le Petit Parisien, Le Matin, Le Journal) et entame dès lors un lent déclin jusqu’à sa disparition en 1944.

Dominique Kalifa
professeur d'histoire contemporaine université Paris 1 Panthéon – Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2013

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