Page d'histoire : Henri-Dominique Lacordaire Recey-sur-Ource (Côte-d'Or), 12 mai 1802 - Sorèze (Tarn), 21 novembre 1861

Le Révérend Père Dominique Lacordaire, de l'ordre des frères Prêcheurs par Théodore Chassériau, 1840
© Musée du Louvre

Pour ses contemporains, Henri Lacordaire était un illustre représentant de la prédication catholique, en un temps où l'art oratoire, profane et sacré, jouissait d'un grand prestige. Aujourd'hui, les historiens des idées religieuses voient surtout en lui un des chefs des libéraux catholiques qui réclamaient pour l'Église les libertés acquises par la société civile depuis la Révolution française, et le restaurateur en France, de l'ordre des Frères Prêcheurs, autrement dits Dominicains, supprimé en 1790. Prêtre, journaliste, éducateur, un bref moment député, académicien, Lacordaire est une des figures majeures contribuant, avec talent et originalité, au débat entre le catholicisme et la société au XIXe siècle.

Issu d'un milieu de bourgeoisie provinciale, Lacordaire est élevé religieusement par sa mère. Il perd la foi qu'il ne retrouve qu'à l'âge de vingt-deux ans, après ses études de droit à Dijon et le début d'une carrière d'avocat à Paris. Entré en 1824 au séminaire, ordonné prêtre en 1827, il est aumônier d'un monastère et du collège Henri IV à Paris. Après la révolution de 1830, il devient un des principaux collaborateurs du quotidien catholique L'Avenir, avec Lamennais et le jeune Montalembert. Avec eux et d'autres, il organise l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse, et entend promouvoir la liberté de l'enseignement. Le plaidoyer des libéraux catholiques pour la séparation de l'Église et de l'État inquiète les autorités romaines qui condamnent les idées de L'Avenir.  Tout en se désolidarisant de Lamennais qui n'accepte pas de se soumettre, Lacordaire garde ses convictions libérales, persuadé qu'elles ne s'opposent en rien au bien du catholicisme. Chargé en 1835 et 1836 par l'archevêque de Paris des Conférences de Notre-Dame pour proposer un exposé de la foi à un large public, il obtient un remarquable succès mais se retire ensuite à Rome.

C'est là qu'il mûrit l'idée de rétablir en France les Dominicains, alors interdits. Le Mémoire que Lacordaire adresse à " son pays " en mars 1839 est d'abord un plaidoyer pour la légitimité des ordres religieux dans l'État, réclamant pour eux le droit civil d'association. Ayant pris l'habit des Frères Prêcheurs à Rome, le 9 avril 1839, sous le nom de Henri-Dominique, il revient en France et fonde des couvents dominicains en commençant par Nancy (1843). Parmi ses premiers compagnons, on compte un certain nombre de jeunes gens venus du socialisme de Buchez, pour la plupart des artistes.

Lacordaire lance après la Révolution de 1848 un nouveau journal, L'Ère nouvelle, et il est porté à la députation par l'électorat de Marseille. Il siège à l'Assemblée constituante mais en démissionne presque immédiatement (17 mai 1848). Il se retire de toutes activités publiques après le 2 décembre 1851, se consacrant essentiellement à l'éducation de la jeunesse, avec les collèges d'Oullins près de Lyon, et de Sorèze où il meurt quelques mois après avoir été reçu à l'Académie au fauteuil de Tocqueville dont il prononce l'éloge. Libéral impénitent et religieux pénitent, comme il aimait à se définir, Lacordaire est un des précurseurs du catholicisme moderne.

Guy Bedouelle
professeur à l'université de Fribourg/Suisse

Source: Commemorations Collection 2002

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