Page d'histoire : Pierre de Bourdeille, dit Brantôme Bourdeilles (Dordogne), vers 1540 - Saint-Crépin-de-Richemont (Dordogne), 15 juillet 1614

Pierre de Bourdeille, Abbé Seigneur de Brantôme
Estampe, XVIIe siècle
© Bibliothèque nationale de France

À la manière d’un Agrippa d’Aubigné qui, blessé en 1577 au siège de Casteljaloux, commence à rédiger Les Tragiques, Pierre de Bourdeille dit Brantôme naît à la littérature après un accident qui le laisse à demi-infirme en 1584, lorsque son cheval se cabre pour retomber sur lui au cours d’une randonnée sur ses terres périgourdines. Contraint à se sédentariser, il va alors se consacrer à l’écriture et tenter d’obtenir par la plume la gloire qu’il ne put qu’effleurer par l’épée.

Né à Bourdeilles en Périgord sous François Ier à une date incertaine – il dit avoir sept ans lorsque son père meurt entre 1546 et 1549 – Brantôme meurt sous Louis XIII, le 15 juillet 1614, à plus de soixante-dix ans. Troisième fils d’Anne de Vivonne et du baron François de Bourdeille, sa première vie est celle d’un cadet de vieille famille qui passe une partie de son enfance à la cour de Marguerite de Navarre, la sœur de François Ier, où sa grand-mère Louise de Daillon de Lude est dame d’honneur.

À la mort de Marguerite, Brantôme part à Paris puis à Poitiers pour ses études, avant que le roi Henri II ne lui donne la commende de l’abbaye de Brantôme en 1555. Lié au clan des Guises, il s’engage ensuite dans l’armée royale lorsqu’éclate la première guerre de Religion en 1562. Présent à la bataille de Dreux, on le retrouve ensuite sur d’autres champs de bataille au cours des guerres suivantes (Meaux, Saint-Denis, premier siège de La Rochelle…). Sa carrière militaire acquiert même une dimension européenne lorsque, imbu de l’idéal des croisés, il part combattre le Turc, d’abord aux côtés des troupes espagnoles chargées de reconquérir le Peñón de Vélez (1564), puis auprès des chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem à Malte (1566). Pensionné en tant que gentilhomme de la garde du roi Charles IX, Brantôme met finalement un terme à sa carrière militaire en 1574.

Passé au service d’Henri III, il rompt avec lui à l’extrême fin de l’année 1581, lorsque ce dernier lui refuse la faveur de devenir sénéchal de Périgord à la place de son frère aîné malade. Il rejoint alors François d’Alençon, mais celui-ci meurt en 1584. Brantôme s’apprête à passer au service du roi d’Espagne lorsque son accident de cheval le contraint à se retirer sur ses terres où il va entamer sa seconde vie, celle de l’écrivain, du chroniqueur de son temps et du mémorialiste.

Figure paradoxale d’un siècle paradoxal fait de fer, de sang, mais aussi d’humanisme et de Renaissance, Brantôme a une vie empreinte de dualité et de complexité. Abbé laïc, voyageur infatigable – en France avec la cour, dont il suit les pérégrinations lors du « tour de France » des années 1560, puis en Italie, Écosse, Espagne, Portugal, Maroc, Malte –, mais écrivain « reclus » les 30 dernières années de sa vie sur ses terres. Élevé dans les raffinements de la cour de Navarre, issu d’une famille marquée du sceau de la littérature (sa grand-mère et sa tante se trouvent parmi les « devisants » de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre), Brantôme est aussi un homme nourri de valeurs chevaleresques, au nom d’une tradition familiale qu’il fait remonter à Charlemagne et qui a connu ses heures de gloire lors de la guerre de Cent ans et des guerres d’Italie, où son père a mis ses pas dans ceux du grand Bayard. Sa vie tout entière est déjà résumée dans ses atavismes familiaux, où se mêlent littérature et faits d’armes.

Écrivain courtisan, volontiers intrigant, épris de cette Cour qu’il nomme « le paradis du monde », mais soldat obsédé par la geste militaire et les valeurs aristocratiques, sa vie est aussi ponctuée d’échecs. Échec militaire d’abord. Brantôme est certes un homme de guerre, mais il est né trop tard pour participer aux guerres d’Italie. Il considère en outre que les guerres civiles qui commencent ne peuvent permettre d’acquérir la gloire militaire dont il rêve, car elles sont la négation des idéaux chevaleresques auxquels il entendait se conformer. Cela ne l’empêche pas de participer à plusieurs batailles et d’être blessé à plusieurs reprises, sans jamais toutefois accéder à la gloire dont il rêvait. Échec politique aussi, car, s’il est un courtisan assidu, il se choisit des maîtres qui meurent trop tôt. Sa rupture avec Henri III en 1581, la mort du duc d’Alençon en 1584 surtout, enterrent définitivement ses ambitions. Échec matrimonial enfin, car ses nombreuses aventures galantes ne le conduiront jamais devant l’autel.

Finalement, la vraie réussite de Brantôme est son œuvre littéraire. Publiée après sa mort à partir de 1665, c’est un témoignage de son temps, sur son temps. Parfois mal compris et très longtemps réduits à leur caractère « léger », ses écrits sont aussi une exploration de la mentalité aristocratique, offrant au lecteur les clefs pour comprendre comment la noblesse du XVIe siècle vivait et pensait l’amour, le mariage, l’infidélité, la galanterie, la chasteté, la vertu et la gloire militaire. Vue par le prisme parfois déformant de la vie des hommes et des femmes ses contemporains, l’œuvre de Brantôme est prolixe et hétéroclite, mais parfois fâchée avec l’exactitude historique.

Elle mêle des genres aussi divers que l’autobiographie, la biographie, la chronique et la compilation d’anecdotes amassées à la Cour, sur les champs de bataille ou dans les ouvrages.

Son œuvre est aussi un diptyque consacré à ses deux grandes passions : la guerre et les femmes. D’un côté des souverains et de grands capitaines de son temps, qu’il connaissait personnellement ou dont il estimait la réputation (Les vies des hommes illustres et grands capitaines français ; Les vies des grands capitaines étrangers). De l’autre des portraits de femmes aux mœurs légères (Les vies des dames galantes), mais aussi de grandes dames qu’il admire à l’image de Catherine de Médicis, Marie Stuart et surtout Marguerite de Valois, idole dédicataire de son œuvre (Les Vies des dames illustres).

Sans jamais se départir du style vif et haut en couleur qui fit sa renommée au cours des siècles suivants, Brantôme nous lègue un des témoignages les plus précieux sur la cour des Valois et sur son temps.

Grégory Champeaud
docteur en Histoire Moderne de l’université de Bordeaux III
professeur d’histoire en section européenne

Source: Commemorations Collection 2014

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