Page d'histoire : Henri François d'Aguesseau Limoges, 27 novembre 1668 - Paris, 9 février 1751

Portrait gravé par J.Daullé en 1761
Paris, Archives nationales, bibliothèque
© Service photographique de CHAN

L'année 2001 est l'occasion de diffuser dans le public une image encore trop confidentielle, de célébrer la mémoire, les traits spécifiques et remarquables de cette figure si grande et si mal connue de la monarchie.

Henri François d'Aguesseau, né à Limoges le 27 novembre 1668, s'est éteint le 9 février 1751. Il appartenait à une lignée de magistrats qui, de Louis XIII à Louis XVI, peuplèrent les cours et le conseil du roi pour l'honneur de la Justice et de l'État. Avec l'austérité de l'intègre et acharné travailleur qu'il fut, d'Aguesseau n'a pas défrayé la chronique. Aussi paraît-il aujourd'hui oublié du public. Son œuvre pourtant, si diverse et profuse, le classe parmi les grands auteurs, non pas de ceux, attrayants, de la littérature et des salons des Lumières, mais de ces maîtres d'œuvre et bâtisseurs discrets, connus seulement des ouvriers de la Loi.

Sa carrière l'a conduit d'abord au parquet du Châtelet (1690), puis du parlement de Paris (1691). Comme avocat général, il plaide pour le Roi, le Public et la Loi, défend les droits de l'Église, des mineurs et des communautés. Devenu, en 1700, chef de la " magistrature debout ", il pose alors, à travers la part de son œuvre qui résulte de son ministère(1), les questions essentielles de la compétence, de la responsabilité du magistrat, celles de la conscience du juge et de son indépendance. À l'heure où la réforme du parquet hante les pouvoirs politiques, la voix de d'Aguesseau devrait résonner de façon plus actuelle que l'on ne croit, proposer des pistes de réflexion : par-delà les bouleversements du temps et du droit, il offre à nos préoccupations l'éclairage d'un esprit cultivé, modéré et honnête.

Élevé à la Chancellerie de France le 2 février 1717 par le Régent, Henri François d'Aguesseau fut ainsi porté au premier office de la monarchie, du même coup au premier rang des collaborateurs de Louis XV. Son domaine fut strictement limité aux affaires intérieures et, par un va-et-vient peu confortable des sceaux dont il fut privé par moments, il fut cantonné au domaine de la législation et de la direction de la magistrature. Quand on connaît la place qu'occupèrent, au XVIIIe siècle, les conflits entre les cours " souveraines " et le gouvernement royal, on mesure d'emblée le rôle-clef que d'Aguesseau fut amené à jouer. Par là, il est happé bien malgré lui dans le crucial débat sur la responsabilité de la magistrature dans la chute de la monarchie.

Moraliste et philosophe, d'Aguesseau parcourt, " de Colbert à l'Encyclopédie", un siècle fascinant et en reproduit les contrastes. Cartésien et janséniste, il synthétise un " libéral-conservatisme " que les études les plus récentes, tant sur le jansénisme que sur la magistrature, contribuent à identifier sous les apparents paradoxes de la pensée et de l'action de la haute Robe. Le seigneur de Fresnes-en-Brie illustre enfin l'originalité de ce milieu robin dont les valeurs se prolongèrent bien au-delà d'une Révolution dont il fut pourtant l'une des grandes victimes.

Isabelle Storez-Brancourt
Maître de conférences à l'université d'Artois
déléguée au CNRS

1) Mémoires, mercuriales, correspondance, publiés dans l'édition de ses œuvres, mais aussi conclusions et requêtes conservées dans le fonds des Archives nationales (série X).

Source: Commemorations Collection 2001

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