Page d'histoire : Jeanne-Marie Leprince de Beaumont Rouen, 26 avril 1711 - Chavanod (Haute-Savoie), 8 septembre 1780

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont est l’auteure d’une des œuvres les plus universellement familières écrites en France au XVIIIe siècle : La Belle et la bête, mais c’est moins le conte qu’on retient qu’une histoire résumée dans un titre qu’elle n’a pas inventé, et son œuvre considérable et très influente a elle été complètement oubliée.

Née le 26 avril 1711, c’est la fille du peintre et sculpteur J.-B. Nicolas Leprince. Elle mène d’abord une vie assez libre et elle emprunte son nom de plume à un partenaire transitoire, Beaumont. En 1748, elle fait paraître ses premiers essais et part en Angleterre, où elle acquiert son indé-pendance amoureuse dans une liaison passionnée avec le libre penseur Pichon, économique par son travail d’éducatrice, et intellectuelle avec la rédaction de manuels d’enseignement : dans des publications périodiques qui prennent la forme de dialogues, elle met en scène la relation pédagogique, dispense le matériau d’enseignement et précise l’usage qu’on en peut faire. L’entreprise est nouvelle et connaît un succès immédiat qui s’étend pour un siècle à toute l’Europe : elle fournit des supports à l’apprentissage du français comme langue étrangère et propose un contenu solide à la formation des jeunes filles. Leprince de Beaumont retourne en France en 1763, elle garde ses activités d’éducatrice et d’auteure jusqu’à sa mort en 1780.

Son ouvrage le plus fameux est Le Magasin des enfants. Paru en 1756, traduit en douze langues, il a connu en français au moins 130 éditions. Il donne pour matière aux conversations entre les maîtres et les élèves, des informations géographiques, historiques, religieuses, mythologiques, scientifiques, philosophiques, linguistiques, et s’appuie sur 71 histoires tirées des Saintes Écritures et sur 13 contes de fées. Parmi eux figure La Belle et la Bête. Leprince de Beaumont adapte des contes parus depuis la fin du XVIIe siècle, en veillant à leur projet moral, à la poésie de leurs situations et à la simplicité de leur composition. Du conte de Mme de Villeneuve qui porte le même titre de La Belle et la Bête paru en 1740, elle garde le noyau narratif, mais supprime les jeux de perspective et les développements galants ; elle exalte l’énergie de la jeune fille qui, devenue pauvre, se met au travail, nourrit son loisir de sa culture, sauve son père, cohabite avec son futur mari et choisit de l’épouser quand il la laisse libre et est prêt à renoncer à la vie pour elle. Le conte montrait ainsi aux jeunes filles les exigences d’un épanouissement personnel qui n’était pas en contradiction avec les lois de la société. Il transformait en fable les épreuves de l’amour qui relie l’animalité de l’homme à ses aspirations les plus hautes. En ramenant le conte à son titre, Leprince de Beaumont en a assuré la postérité : aidant à réinterpréter d’autres récits, des Amours de Psyché au Petit chaperon rouge, il inspire d’innombrables variations et transformations, en particulier au cinéma. Autant qu’un conte, La Belle et la bête est devenue une figure du couple familière à tous et un mythe moderne sans cesse réactualisé.

Jean-Paul Sermain
professeur de littérature française
université de la Sorbonne nouvelle Paris 3

Source: Commemorations Collection 2011

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