Page d'histoire : Les Cent-Jours 1er mars - 7 juillet 1815

Arrivée de Nicolas Buonaparte aux Tuileries le 20 mars 1815,
estampe non signée, coll. de Vinck, Un siècle d’histoire de France
par l’estampe, 1770-1870, vol. 72 (pièces 9377-9502),
Restauration et Cent-Jours, Paris, Bibliothèque nationale de France.
Napoléon, accompagné de la Mort et de la Misère
qui « serviront toujours l’Empereur » et de deux admirateurs […],
tend une proclamation […] en disant : « J’ai dans ma poche
une trêve de 20 ans avec les Puissances [etc.] ». Dans une caisse
portant l’étiquette « Récompense militaire », des béquilles
et des jambes de bois. Un groupe d’hommes et de femmes
l’accueille avec des réflexions rien moins qu’enthousiastes.
Les historiens ne se prononcent pas encore sur le motif de la substitution
du prénom « Nicolas » à celui de « Napoléon » ; c’est surtout
la presse royaliste de l’époque qui semble avoir utilisé « Nicolas ».
© BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF

Cent jours... dans sa banale neutralité numérique, la formule est restée insolite. Le préfet Chabrol, rescapé de l’Empire rallié à la première Restauration, crut plaire à Louis XVIII revenant de Gand le 8 juillet 1815, en refermant sous ce décompte anonyme un traumatisme national. Vraie rechute de la Révolution, l’affaire laissait la France étourdie. Car avant les Cent-Jours, ç’avait d’abord été les vingt du vol de l’Aigle. Du débarquement de Golfe-Juan le 1er mars, à l’entrée nocturne aux Tuileries le 20, dix-neuf étapes avaient suffi au Petit Caporal pour culbuter le trône restauré du frère de Louis XVI. Mais déjà le 22 juin, à peine brossé de la poussière de Waterloo, l’Empereur vaincu faisait entrer l’Élysée dans l’histoire en y signant sa seconde abdication.

Ainsi nous étonne d’abord cette fragilité du pouvoir, qui a fait du printemps 1815 une caricature de la Révolution décidément jamais finie. La légitimité semblait se dérober à tous les prétendants. D’abord se propagea l’onde de choc impériale : « Les sous-lieutenants et les soldats [...] ont tout fait ; c’est à l’armée, c’est au peuple que je dois tout. » La troupe et les bas-officiers envoyés pour l’arrêter tombaient dans les bras de l’Empereur retrouvé, abandonnant les maréchaux loyalistes réduits à tourner bride au galop. Deux mille paysans accouraient sur Grenoble à la lumière des torches, les canuts lyonnais saisissaient les ponts du Rhône. Mais ce retour de flamme révolutionnaire était-il encore de saison ?

On vit alors la monarchie rallier des soutiens outragés, d’abord celui des notables attachés aux libertés publiques si récemment recouvrées. La séance solennelle des chambres assemblées le 16 mars retentit de serments émus. Députés et pairs, grands corps et garde nationale se serraient autour du trône, pour une unanime et vibrante protestation d’attachement à la royauté constitutionnelle. Tandis que Napoléon, chaussé des bottes de 93, poussait d’Autun sur Avallon, la France bourbonienne se proclamait du combat de « la liberté contre la tyrannie ». La charte, octroyée en 1814, Louis XVIII l’exaltait maintenant au-dessus même de sa couronne, comme le bien commun du roi et de la nation : « Rallions-nous autour d’elle ! Qu’elle soit notre étendard sacré ! » Mais ni la monarchie parlementaire le 19 mars, ni l’empire militaire et populaire après le 18 juin, ne surent s’appuyer sur leurs bases pour tenir tête. Aucun des protagonistes n’osa emporter de vive force le soutien qui lui manquait.

C’est qu’un symétrique refus de la guerre civile paralysa ces autorités concurrentes, et en cela sans doute eurent-elles alors la majorité du pays pour complice, dans une paradoxale conspiration de l’attentisme. Tout se passa alors si vite parce que, dans une France rassasiée de discordes, trop peu voulaient encore en découdre. Alors qu’en mai l’Ouest s’ameutait contre la conscription rétablie, Louis XVIII refusa d’être « le roi de la Vendée », comme quelques semaines plus tard Napoléon « l’empereur de la canaille » qui l’acclamait encore sous les fenêtres de l’Élysée. Le 19 mars au soir, le Paris bourgeois laissa monter en voiture un vieux roi, sans risquer le coup de feu pour défendre le trône parlementaire. Cependant, dans le camp des ralliés à la nouvelle aventure impériale, le moral n’était guère plus vaillant. Fouché ne donnait pas quatre mois à l’affaire. La soldatesque qui, au sens propre, porta Napoléon le 20 mars au soir jusque dans l’escalier du pavillon de Flore, c’était le flot d’un destin que le maître de l’heure ne contrôlait déjà plus. Y croyait-il encore, quand il délaissait d’ailleurs vite ces Tuileries trop vastes pour une cour si ténue, et faisait camper à l’Élysée sa monarchie diminuée ? Dans une France que Louis XVIII et sa charte avaient gâchée, il fallut consentir l’Acte additionnel, subir La Fayette et Benjamin Constant.

Le 8 juillet, l’exilé de Gand recevait, comme en mai 1814, l’hommage ému de Parisiens bien mis, accourus au jardin des Tuileries. Tout n’avait-il été qu’un rêve, et la comédie du pouvoir un chassé-croisé de la fortune ? Le bilan était au vrai paradoxal. La faillite de Waterloo laissait un redoutable passif. La France, partenaire plus que ménagée au premier traité de Paris, agrandie même au-delà des frontières de Louis XVI, était désormais à l’encan, occupée, rançonnée et pillée par la soldatesque de coalisés décidés à faire payer leurs frayeurs à ce peuple incorrigible. « Cent jours : l’aventure ne dura pas davantage, et ce fut assez pour causer des dégâts incalculables », a gravé Bainville. La monarchie allait devoir malgré elle assumer la vindicte. La voilà désormais régime « des fourgons de l’étranger », alors qu’en face s’éveillait une légende. Principicule résigné de Portoferraio, ou planteur en Virginie, si la croisière de l’amiral Hotham avait été trompée, il ne manquait pas de destins qui eussent rangé la retraite de Napoléon dans les curiosités assoupies. Avec la captivité romantique du héros malheureux enchaîné au rocher de Sainte-Hélène, un mythe s’élevait. La dictée du Mémorial cristalliserait, dans la geste réinterprétée des Cent-Jours, le mixte patriotique et libéral associant l’héroïsme national et les immortels principes de 1789. En face, le charme séculaire de la monarchie se serait-il définitivement évanoui sur la route de Gand, plus que dans le martyr du 21 janvier ? La maison militaire du roi, c’était tout une petite armée qui se repliait fin mars 1815 sur la frontière des Pays-Bas. Ses jeunes officiers rongeaient leur frein, pleurant de dépit. Les premiers enfants du siècle romantique inauguraient une bien triste carrière de paladins en escortant le premier convoi funèbre de la monarchie, précédent des dérobades de 1830 et de 1848.

Avec la rupture de 1815, un ton nouveau résonnait donc en Europe. De la diplomatie légitimiste de M. de Talleyrand, les coalisés ne se laissèrent pas conter. La France de Waterloo n’était plus le domaine inviolable de Louis XVIII, après tout leur allié commun contre le Corse, mais un peuple qui, pour s’être donné au dictateur, serait comme lui châtié. Solidarité, déjà démocratique, de la nation fanatisée et du tyran déchu. En avril 1814 à Fontainebleau, Napoléon s’était vu considérer en prince, à qui la souveraineté d’Elbe avait été reconnue par un traité. Quinze mois plus tard, les puissances lui couraient sus pour s’être « placé hors des relations civiles et sociales » et le livraient « à la vindicte publique » comme « ennemi et perturbateur du monde ». Nuremberg n’était certes pas encore Terre promise en 1815 mais, sensiblement, le monde entrait dans l’époque contemporaine.

Laurent Chéron
professeur agrégé d’histoire

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Source: Commemorations Collection 2015

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