Page d'histoire : Martin Nadaud Hameau de La Martinèche, Soubrebost (Creuse), 17 novembre 1815 ? id., 28 décembre 1898

Martin Nadaud a publié en 1895, depuis sa retraite de La Martinèche, des Mémoires de Léonard maçon de la Creuse qui restent son meilleur titre de gloire, constamment réédité. Il atteste par cette trace écrite que l’ascension sociale (pour lui, de l’échafaudage à la tribune) et la reconnaissance publique (Paris a donné dès 1899 le nom de l’élu de son XXe arrondissement à une place de Ménilmontant, puis à une station du métro qui jouxtait celle de son ami Gambetta ; Bourganeuf lui a offert une statue de bronze dès 1902) étaient de justes récompenses pour chaque travailleur entêté de bien commun, chaque intelligence grandie dans les livres et les franches camaraderies, chaque élu resté fidèle au peuple souverain.

Il y conte sa propre histoire, celle d’un petit rustaud né au lendemain de Waterloo, mis au travail très tôt, arrivé les pieds en sang à Paris et, là, condamné à trimer plus de quinze heures par jour. Puis d’un gars du bâtiment pas manchot, d’un gaillard coureur de chantiers, d’estaminets et de garnis, aussi bourru que vif-argent, curieux de tout et d’abord d’instruction. En 1848, d’un ouvrier candidat à la députation désigné par une assemblée générale tenue à la Sorbonne ; d’un emprisonné puis exilé après le coup d’État de 1851 qui devient professeur à Wimbledon ; d’un député républicain de la Creuse sous la Troisième République, habitué des foirails et des banquets, toujours modéré et de bon sens mais balayé en 1889 par la vague boulangiste ; d’un édile parisien resté un « roi de la truelle », entêté d’urbanisme populaire, d’eau à tous les étages et de solidarité municipale avec les plus démunis. Et même de l’auteur en 1850, à la tribune de l’Assemblée législative, d’un aphorisme devenu populaire : « Quand le bâtiment va, tout va ! »

Il a vécu sans désespérer la Creuse de sa jeunesse, autour de 1830, restée un conservatoire de violence et de pauvreté. Il a chanté la migration temporaire qui sortait cet âpre monde de la clôture, l’oxygénait avec l’argent et les idées de la grande ville. À Paris, vers 1848, il décrit l’âpreté de la vie de ces Limousins qui s’imposèrent comme les meilleurs ouvriers du bâtiment sur la place. Il devient un militant de la cause républicaine et socialiste, puis un élu populaire. Dans un monde politique où l’ouvrier restait aussi rare que peu écouté, il a ferraillé, et souvent sous les lazzis, au service de sa région, des ouvriers du bâtiment et des travailleurs en général. Toujours dressé contre les réactionnaires « blancs », les césariens « bleus » et les trublions « rouges », ce Creusois de Paris fut de bout en bout le fils appliqué de son siècle baptisé aux Lumières et aux droits de l’homme de 1789 : un exemple d’émancipation du tiers état par l’instruction et la foi républicaine au XIXe siècle.

 

Jean-Pierre Rioux
inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale

Source: Commemorations Collection 2015

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