Page d'histoire : Joseph Mallord William Turner Londres (Covent Garden), 23 avril 1775 - Londres (Chelsea), 19 décembre 1851

Autoportrait, vers 1799

Turner fut le " personnage " le plus marquant de la génération d'artistes anglais qui a radicalement transformé la tradition de la peinture de paysage durant les première années du XIXe siècle.

Il passa son enfance dans un milieu assez modeste : son père était barbier et perruquier à Covent Garden. Dès son jeune âge il était résolu à embrasser la carrière artistique. Il apprit les rudiments du métier en travaillant comme dessinateur pour divers architectes avant d'entreprendre des études plus spécialisées dans les ateliers de la Royal Academy of Arts.

En tant que salon principal de l'art contemporain, l'Académie a joué un rôle essentiel dans la vie de Turner. Bien qu'il exposât aussi ses œuvres dans sa propre galerie, dans Queen Anne Street, et à l'Institut britannique, la plupart de ses œuvres - environ 260 - furent exposées tour à tour sur les murs de l'Académie pendant environ soixante ans. Tout jeune homme il se distingua à l'Académie, devint " Associé " en 1799, et " Académicien " en 1802, au plus jeune âge possible. Par la suite, il devint membre de nombreux comités, puis fut élu professeur de perspective (1807-1837).

Les premières œuvres exposées de Turner furent des aquarelles, et il étonna très vite ses collègues par des réalisations pleines de force avec un rendu des conditions atmosphériques très vivant grâce à cette méthode. Son espoir de gagner une reconnaissance plus importante pour l'art de l'aquarelle ne le quittera pas même s'il diversifia sa pratique artistique et commença à peindre à l'huile. En dépit de ses techniques jugées parfois peu orthodoxes, de nombreux connaisseurs en virent vite les possibilités et lui passèrent commande. En 1802 plusieurs d'entre eux s'associèrent pour lui offrir son premier voyage sur le " Continent ". Il visita les Alpes et le Louvre (alors rempli des prises de guerres amassées à Paris par les agents de Napoléon).

Les voyages jouèrent un rôle prépondérant dans le développement de l'art de Turner, lui offrant les sujets des nombreuses gravures auxquelles il travailla (presque 900 au total). Jusqu'à la fin des guerres napoléoniennes, ses déplacements hors de la Grande-Bretagne furent très rares. Il fut donc contraint de limiter ses voyages aux sites les plus pittoresques du Royaume-Uni avec un intérêt marqué pour les paysages les plus romantiques du Pays de Galles et de l'Écosse. La paix revenue cependant, il fit un voyage annuel à l'étranger en été. Entre 1817 et 1845 il parcourut l'Europe en tous sens. Il visita ainsi : les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne, la France, l'Italie, la Suisse, l'Autriche, le Danemark et poussa même une pointe à l'Est jusqu'à Prague, dans l'actuelle République tchèque.

Les sources d'inspirations de Turner s'inscrivaient également dans un contexte international, renvoyant à sa profonde admiration pour des artistes comme le Titien, Poussin et Rembrandt. Il voua un culte particulièrement durable aux paysages de Claude Gellée, dont l'influence sur plusieurs de ses toiles est manifeste. La profonde admiration de Turner pour cet artiste du XVIIe siècle était telle qu'il demanda dans son testament que deux de ses œuvres soient accrochées à côté de deux toiles du " Lorrain " à la National Gallery.

Malgré les liens profonds qui le liaient avec les maîtres anciens, Turner fut à l'avant-garde de la peinture moderne, poussant sa manière de peindre et sa compréhension des couleurs dans des voies qui inquiétèrent et effrayèrent la critique. Celle-ci lui devint progressivement hostile, s'agissant de sa peinture à l'huile à partir des années 1820. Malgré tout, les critiques ne détournèrent pas ses commanditaires et les organisateurs d'expositions, qui continuèrent à lui demander d'illustrer des recueils de poésie, assurés, sans aucun doute, que sa participation aux ouvrages gonfleraient substantiellement les ventes de noms déjà célèbres comme Lord Byron et Sir Walter Scott. Dans les années 1820 et 1830, de remarquables estampes de paysages de Turner furent également intégrées dans des ouvrages à la mode connus sous le nom de " Keepsakes " qui aidèrent à mieux faire connaître son art à travers l'Europe.

Les sources d'inspiration de Turner sont souvent tirées de la vie contemporaine. Il célébra aussi bien Trafalgar que Waterloo, fasciné par l'ascension et la chute de Napoléon. Il comprit aussi très vite l'importance des progrès techniques et les saisit sur le vif : les bateaux à vapeur apparaissent très tôt dans ses œuvres et il fut le premier artiste à peindre avec enthousiasme et réalisme les voyages en chemin de fer.

L'expérimentation a soutenu la plus grande partie de son travail, soit en incluant une approche directe à partir du motif - comme ce fut le cas chez d'autres artistes anglais entre 1800 et 1810 - soit en lui permettant une utilisation particulièrement expressive de la couleur. Il y a ainsi une réelle progression dans son œuvre vers une plus grande économie dans la présentation des sujets, certains étant très flous. Les adversaires de sa dernière manière trouvèrent face à eux dans le jeune John Ruskin un défenseur également fervent. Son Peintres modernes (1843) influença la critique de Turner jusqu'à la fin du XIXe siècle.

On constata après son décès que son testament avait été rédigé avec un manque regrettable de clarté ce qui provoqua une longue querelle juridique entre ses héritiers. Elle ne fut réglée qu'en 1856 : toutes les peintures, aquarelles et ébauches trouvées dans son atelier, et qu'on lui attribuait, devinrent alors propriété de la Nation. C'est ainsi que 300 huiles environ et 20 000 ébauches furent transférées à la National Gallery, à laquelle l'ampleur sans précédent de ce legs posa de graves problèmes. La collection " Turner " ne put jamais être vue dans son intégralité mais par " fragments " et ce n'est que récemment, dans les années 1970, que les derniers objets de la collection furent enregistrés. C'est ainsi que certaines de ces œuvres qui sont considérées aujourd'hui comme des chefs-d'œuvre, comme " Norham Castle, Sunrise " (vers 1845) ne furent jamais exposées avant les premières années du XXe siècle.

En 1987 la nouvelle aile de la Tate Gallery (œuvre de Stirling et Wilford) a été inaugurée pour accueillir la collection dans un environnement digne d'elle. Depuis, de nombreuses expositions ont permis d'examiner les différents aspects de la vie de l'artiste, ouvrant de nouveaux renseignements et assurant à la Galerie nouvelle la maîtrise sur les études de Turner. Quand elle ne fait pas partie des pièces ouvertes au public, la collection d'aquarelles peut être visitée sur rendez-vous dans la salle de dessins et gravures (tél. : 0 20 7887 8042).

Ian Warrell
conservateur à la Tate Gallery

Source: Commemorations Collection 2001

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