Page d'histoire : Henri Grouès, dit l'abbé Pierre Lyon, 5 août 1912 - Paris, 22 janvier 2007

Henri Grouès* est né à Lyon, dans une famille de la bourgeoisie. Il est le cinquième d’une famille de huit enfants. Tout jeune, il est habité par la foi, mais aussi par les tourments, comme il le racontera dans ses récits auto-biographiques. C’est à l’âge de seize ans qu’il rejoint comme séminariste les franciscains, avant de prononcer ses vœux chez les capucins. En 1940, il est nommé aumônier dans le diocèse de Grenoble. Il cachera des juifs, fera passer des familles en Suisse, avant de rejoindre le maquis. Des capucins, il conservera la cape ; du maquis, le béret, qui resteront indissociables de sa silhouette légendaire.

Au lendemain de la guerre, il se présente aux élections législatives sous l’étiquette MRP et devient député de la Meurthe-et-Moselle, tout en poursuivant son engagement pour les plus démunis. En 1949, révolté par la misère qui règne à Paris, il crée la première communauté Emmaüs. Sans moyens, il décide de mendier devant l’Assemblée nationale. Des clochards lui apprennent alors comment gagner de l’argent grâce à la « biffe », c’està-dire en récupérant dans les poubelles ce qui peut être revendu. C’est ainsi que l’abbé Pierre décide de créer un mouvement de chiffonniers. À l’origine de la première communauté, à Neuilly-Plaisance, il y a deux autres personnages : Lucie Coutaz, rencontrée dans le Vercors pendant la guerre, et Georges, premier compagnon, revenu du bagne et qu’il sauve du suicide. Révolté par l’indifférence dans laquelle meurent de froid des familles dans la rue, il lance, sur RTL, l’appel du 1er février 1954 : « Mes amis, au secours ». Avec ce cri, accompagné d’une violente diatribe contre l’inaction du gouvernement, il obtient le vote d’un collectif budgétaire sur le logement, et donne son élan au mouvement Emmaüs. Des communautés se créent sur le passage de l’abbé, dont la notoriété dépasse les frontières. Le mouvement essaime dans une quarantaine de pays. En 1963, son sauvetage « miraculeux » lors d’un naufrage en Amérique du Sud contribue à sa légende. En France, Emmaüs grandit : il comporte une société HLM, de nombreuses associations et communautés.

En 1996, l’abbé Pierre crée la polémique en soutenant, avant de se rétracter, l’écrivain Roger Garaudy, auteur d’un livre révisionniste. Après cet épisode, l’abbé Pierre revient au faîte de la popularité. Il s’appuie sur elle et sur l’importance du mouvement qu’il a créé pour être à la pointe de nombreux combats : au côté des mal logés, des sans-papiers, des personnes à la rue, des détenus, au service du plus souffrant, jusqu’à la fin de la vie. Sa santé ne l’empêche pas de puiser dans la foi des forces insoupçonnables pour convaincre et entraîner, au-delà des clivages partisans. Il s’éteint au Val-de-Grâce le 22 janvier 2007 et sa mort déclenche une immense émotion. Il faudra attendre 2008 pour que la particularité du statut des compagnons d’Emmaüs soit reconnue par la loi.

L’abbé Pierre aura marqué la seconde moitié du XXe siècle, par son atypisme. Il restera l’auteur, après le général de Gaulle, du deuxième appel radiophonique mobilisant les Français. Son héritage dépasse le mouvement Emmaüs, dont est issu ATD Quart Monde : c’est l’abbé Pierre qui inspire Coluche pour la création des Restos du Cœur ; c’est de l’abbé Pierre que se réclament de nombreux mouvements militants.

Il aura été à l’origine d’une forme moderne et originale d’action caritative combative : l’activité économique au service de la lutte contre la pauvreté, l’utilisation continuelle et parfois spectaculaire des médias au service de sa cause, la pression exercée sur les personnalités politiques de tous bords dans une forme de « lobbying ».

« Le meilleur hommage, c’est de continuer » dira simplement le mouvement Emmaüs, alors que les autorités de l’État et une foule d’humbles se réunissent à ses funérailles, célébrées à la cathédrale Notre-Dame.

Martin Hirsch
ancien président d’Emmaüs France
président de l’agence du service civique ancien haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté

* Cf. Célébrations nationales 2004

Source: Commemorations Collection 2012

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