Page d'histoire : La Cour des comptes Loi du 16 septembre 1807

La Cour des comptes, haut-relief ornant la galerie circulaire autour du tombeau de Napoléon 1er,
rappel des réalisations civiles de l’Empereur
haut-relief, marbre blanc sculpté, Pierre-Charles Simart
Paris, Hôtel des Invalides
© Musée de l’Armée/RMN

« L’Empereur relégué au fond de son palais ne peut savoir que ce qu’on veut lui dire. La Cour des comptes me renseignera ». Voici sans doute la première motivation qui poussa Napoléon à instaurer en 1807, au sortir même de ses campagnes victorieuses en Pologne, une Cour des comptes vouée au contrôle des finances publiques ; il la voulait non courtisane.

Il refondait ainsi une institution ancienne, héritée de la monarchie. Dès le Moyen Âge, le roi, conscient de la nécessité d’assurer le contrôle de ceux qui géraient le domaine et les deniers du Royaume, et de parer ainsi aux risques de négligence, de détournement ou d’abus, fit naître une curia regis ou Cour du roi spécialisée dans le jugement des comptes. D’autres chambres des comptes furent par ailleurs instituées dans les provinces, autant de chambres qui relevaient des grands féodaux et se déclaraient « souveraines ».

Les révolutionnaires consacrèrent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le droit des citoyens à « demander des comptes » à tout agent de l’administration mais, se méfiant des juges d’Ancien Régime, ils supprimèrent les Chambres des comptes en 1790. Le système qui leur fut substitué, celui d’un Bureau de comptabilité placé auprès du Corps législatif puis d’une Commission de la comptabilité nationale travaillant pour le pouvoir exécutif, ne réussit néanmoins pas à faire ses preuves.

Napoléon fut ainsi convaincu de la nécessité de reconstituer une juridiction financière qui le renseignerait sur la gestion des deniers publics et en permettrait le contrôle. C’est ainsi que fut adoptée la loi du 16 septembre 1807 instituant la Cour des comptes.

Comme le souligna Lebrun, alors archi-trésorier de l’Empire, lors de l’installation solennelle de la juridiction, le 5 novembre 1807, « il fallait donc une institution nouvelle, non point une institution éparse et morcelée, telle que l’avaient donnée les réunions successives de différentes parties de la France ; amas incohérent de comptabilités dont Sully, dont Colbert, dont leurs successeurs les plus habiles avaient tant de peine à faire mouvoir les ressorts, et de pouvoirs confus qui, s’exerçant sur plusieurs matières différentes à la fois, les laissaient toutes dans la langueur et l’inertie ».

Créée par et pour le Souverain, la Cour des comptes a su s’émanciper et asseoir sa légitimité dans l’histoire institutionnelle mouvementée de la France. C’est qu’elle répondait - et qu’elle répond plus que jamais - à un besoin fondamental issu d’exigences morales autant que matérielles : celui du contrôle du bon emploi des deniers publics. Besoin qui ne pouvait devenir que plus pressant à la faveur des changements institutionnels et de la démocratisation des institutions françaises.

La Cour a également su se positionner à égale distance entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif : elle apporte son concours à l’un comme à l’autre. À partir de 1822, elle assiste le Parlement pour le contrôle de l’exécution des lois de finances : ainsi commence une collaboration fructueuse avec les Assemblées, dont le principe a été consacré par les constitutions de 1946 et 1958. En 1832, elle adresse pour la première fois au Parlement le rapport annuel, jusqu’alors traditionnellement réservé au Souverain. En 1938, ce rapport est publié et est donc désormais accessible à l’ensemble des citoyens. « Créature » de l’Empereur, la Cour a su affirmer son indépendance et son rôle parmi les institutions les plus importantes de la République.

La Cour des comptes est aujourd’hui l’instrument de deux volontés rapprochées, la volonté de vérifier si les deniers publics ont été employés à bon droit mais aussi à bon escient. En jugeant les comptes des comptables, elle garantit la régularité et le bon emploi des fonds publics ; en examinant la gestion des ordonnateurs, elle réprime les infidélités par diverses procédures contentieuses. Elle rend compte au citoyen, elle éclaire le Parlement.

Son champ de compétence s’est progressivement élargi des comptes publics à ceux des organismes de droit privé bénéficiant de concours financiers publics ou faisant appel à la générosité publique, aux organismes de Sécurité sociale, aux entreprises publiques. Récemment, ses missions se sont encore diversifiées : en 2001, la loi organique relative aux lois de finances, puis en 2005, la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale accroissent le rôle d’assistance au Parlement que joue la Cour et la placent au coeur de la réforme budgétaire et comptable de l’État et de la Sécurité sociale. En cette année 2007, sa deux centième, la Cour a donc le privilège, que d’aucuns lui envieront, d’être fêtée, honorée, félicitée et en même temps confortée, sans doute aussi renforcée et plus sollicitée que jamais. Il n’est nul besoin de préciser l’exigence que cet héritage et ces nouvelles missions font peser sur elle.

 

Philippe Seguin
Premier Président de la Cour des comptes
 

Source: Commemorations Collection 2007

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